Andy Shauf / Norm
[ANTI- Records]

7.2 Note de l'auteur
7.2

Andy Shauf - NormIl faut écouter plusieurs fois Norm pour en apprécier les nuances et la sophistication. Comme ses précédents albums-concept, le nouvel album du Canadien Andy Shauf met en scène des personnages qui s’animent sous nos yeux au fil des chansons. La mise en place de Norm est un peu plus alambiquée que les fois précédentes (on pense au Neon Skyline de 2020) puisqu’elle démarre par un colloque singulier entre Dieu et Jésus (on le suppose du moins) avec un Wasted On Youqui se pose comme une interrogation générale sur la condition humaine. Cette chanson sert de lancement au disque et introduit ce qu’on identifiera d’abord faute de mieux comme la problématique principale, réfléchir à la nature de l’amour entre les êtres humains, avant que Norm ne résonne comme le disque le plus flippant du monde.

Le disque se noue autour du comportement supposément « amoureux » d’un type prénommé Norm qui tente d’attirer l’attention (Catch Your Eye) d’une femme/fille dont il est amoureux et qu’il observe au départ un peu de loin, tandis qu’elle fait ses courses à l’épicerie du coin. La situation comme il l’expose lui-même n’est pas si claire car l’être aimée ne répond pas à ses sollicitations, le laissant seul avec la sonnerie désespérée du téléphone (Telephone). Cela ne s’arrange pas avec le bizarroïde You Didn’t See où on se rencontre que Norm est peut-être tout simplement un voyeur ou un gars qui reluque les femmes à leur insu (You Didn’t See), à moins qu’il ne soit tellement insignifiant que personne ne le remarque.

Ce qu’on croyait être une bluette sentimentale sur le point d’éclore devient dès lors un mirage ou alors le portrait léger et infiniment triste d’une auto-intoxication sentimentale. On se rend en effet compte de fil en aiguille que l’amour entre Norm et sa cible ne démarrera jamais et ne débouchera sur rien du tout. Cette perspective prend corps peu à peu, chamboulant l’horizon poétique et musical du disque qui évolue (sans évoluer) d’une sorte d’apparente allégresse badine en une balade désolée et fantasmatique détractée par l’obsession. Lorsqu’on arrive à la chanson baptisée Norm en milieu d’album, le secret est éventé. L’arrangement primesautier masque la dinguerie du personnage qui s’exprime dans un désarroi existentiel si tranquille et sirupeux qu’il donne le frisson :

Oh, boy Norm
On his side
Clutching the sofa
Eyes open wide
« Is someone in here? »
He asks out loud
Sits up straight
Turns the TV down
And looking all around him
He hears it once again
« Stop these wicked ways
And I will lead you to
The promised land »

La musique d’Andy Shauf prend un rebours un tour presque sinistre, pour ne pas dire cynique, comme si tout reposait sur un leurre cruel, une volonté de masquer l’indigence du propos et le malaise du compositeur sous couvert d’une comédie romantique à la Burt Bacharach. C’est dans ce renversement techniquement révolutionnaire que la musique, telle où chaussette trouée, se retourne sur elle-même pour exprimer le contraire de ce qu’elle suggérait. Norm devient joliment glaçant et désespéré. Halloween Store est une petite merveille narrative qui amènera à cette conversation invraisemblable et unilatérale depuis les deux véhicules garés côte à côte des protagonistes.

I pulled into the lot and parkedNext to a blue car like yoursLooked in my rearview mirrorImagining meeting you in an aisleI said « Hi, I’m Norm, I think we’ve maybe met once before »And as my fog cleared, I realizedThat you were sitting in your carSmiling at me at the Halloween store

C’est le moment le plus émouvant du disque, celui où tout s’effondre avec un détachement complet. On ne sait plus trop quoi en penser dès lors. Doit-on trouver cela joli ou atroce ? Que penser de Norm au juste ? Le coup de génie de Shauf est bien entendu de nous ramener au point de départ et au dialogue initial entre Jésus et Dieu concernant la « règle du jeu » et la valeur des petites créatures que nous sommes. Il va de soi que Norm vise par sa légèreté et le caractère presque évanescent de sa pop à nous rendre aussi insignifiants que tragiquement dépourvus d’intérêt. L’amoureuse finit accompagnée bien entendu tandis que le final et magnifique All of My Love renvoie à la vanité de toute l’entreprise.

Doit-on encore s’occuper de ces types dont l’inutilité est démontrée ? Que reste-t-il à faire maintenant que tout cet amour a été répandu sur le sol et n’a servi à rien. Andy Shauf suggère que même si l’homme est peu de chose, la tentative suffit peut-être à justifier son être, au même titre que la pop, même oubliée, même périssable, a pris de la valeur en résonnant l’espace d’un instant entre nos oreilles. Le rien peut-il un être un tout qui ne dure pas très longtemps ? Est-ce qu’un simple instant (même virtuel, même fantasmé) peut contenir tout un monde ?

A l’image de sa pochette nébuleuse, on peut se contenter de cela : la pop d’Andy Shauf est à clé. La seule façon de la faire durer est probablement de la surinterpréter ou juste de l’écouter distraitement en faisant danser une olive verte au fond de son verre comme si elle était la Terre entière.

Tracklist
01. Wasted On You
02. Catch Your Eye
03. Telephone
04. You Didn’t See
05. Paradise Cinema
06. Norm
07. Halloween Store
08. Sunset
09. Daylight Dreaming
10. Long Throw
11. Don’t Let It Get To You
12. All Of My Love
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