C’est un lac posé au milieu de nulle part, au nord du massif des Monts Dore, sur les pentes du Puy de l’Aiguiller. Un lac de cratère, paisible, un maar comme on dit, né il y a quelques centaines de milliers d’années. L’endroit parfait pour les activités introspectives auxquelles s’adonnent les chercheurs de calme, pécheurs de truites et autres randonneurs ; et Morgane Imbeaud. C’est là que la clermontoise est venue chercher la paix et retrouver la sérénité après une année 2021 cauchemardesque, ponctuée par un burn-out qui n’avait rien de solaire et duquel elle a bien eu peur de ne jamais se relever ; littéralement. Pourtant, tout semblait sourire à l’ex-Cocoon, autrice déjà de plusieurs travaux solo dont le dernier album, Amazone, particulièrement salué mais la vie vous réserve décidément de mauvais tour. Elle qui s’était aussi fait remarquer par ses apparitions sur plusieurs albums de Jean-Louis Murat (Babel et les suivants) qui l’avait aidée à écrire son premier album, le conte musical Les Songes De Léo en 2015 a donc retrouvé inspiration et sérénité sur les rives du lac de Servières, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de l’endroit où la faucheuse est passée chercher par surprise un de ses mentors il y a un an. Les destins sont parfois faits pour se croiser.
C’est alors dans le Finistère, auprès de l’anglais Robin Foster installé de longue date au bout du monde que Morgane Imbeaud est venue chercher une nouvelle âme sœur créatrice, partageant la même sensibilité et façon de penser. Un lac, la mer d’Iroise au bout de la presqu’île de Crozon : drôle de renaissance pour cette phobique de l’eau ! Un choix audacieux qui l’éloigne du format pop-folk auquel elle était jusque là associée tant l’anglais manie avec talent les ambiances atmosphériques post-rock et électro qui collent à merveille aux images, lui qui a au fil des années glissé d’une britpop académique à une musique beaucoup plus ambiant et évocatrice, se faisant une spécialité, au-delà de ses albums (la série PenInsular notamment), de mise en musique de documentaires et fictions. Un choix payant surtout, tant The Lake qui la sort clairement de sa zone de confort devrait lui ouvrir les portes d’un nouveau public qui ne la suivait jusque-là que d’une oreille distraite.
Le décor, double, est planté ; les esthètes le savent, l’un et l’autre sont magnifiques et offrent deux cadres grandioses à un album bouleversant, plein de surprises et de ressources. Ces grands espaces pastoraux ou maritimes ramènent peu à peu Morgane Imbeaud à la vie et à la rédemption, la libèrent du mal qui l’a étreinte. Un larsen, trois notes de piano et le murmure des anges ; il n’y a parfois rien de plus simple pour entamer de la plus belle des façons un disque. Nothing’s Real, ce pas-de-deux avec l’américain Chris Garneau avec lequel elle avait déjà collaboré sur son album Years est une entrée en matière particulièrement élégante qui pose les bases de l’ensemble de l’album où nombreuses seront les questions sans réponses mais en faisant de la nécessité de changer les choses quand ça ne va pas un véritable leitmotiv. Les textes, en anglais ou en français sont particulièrement touchants, évoquant sans fard ces brûlures internes contre lesquelles elle lutte, mais aussi tentant de changer l’image qu’on se faisait d’elle, une chanteuse et musicienne à qui l’inconnu faisait peur, peut-être aussi trop lisse, trop Sage même et prisonnière d’une zone de confort pop-folk aux contours bien définis. Des textes portés par une voix que l’on redécouvre, renaissante elle aussi, libérée dans son besoin d’exprimer des sentiments complexes à travers des variations particulièrement émouvantes et qui s’accordent à merveille à l’écrin proposé, ce nouveau cocon qu’elle s’est construit avec Robin Foster.
Car c’est bien ce nouveau registre musical qui surprend et fait glisser l’album dans une dimension qui vous attrape par les sentiments. The Lake se laisse du début à la fin emporter aux confins de l’ambiant et du post-rock, ces musiques formidablement expressives et évocatrices, nées pour être indomptées mais qui, ça n’est certes pas nouveau, peuvent aussi s’accorder avec bonheur et délicatesse à un cadre de chansons pop dont elles respectent les contraintes ; peut-être bien en une synthèse parfaite finalement. Morgane Imbeaud n’avait sans doute pas l’intention d’aller chercher une posture extrême ou plus probablement tenait à conserver une approche qui ne serait pas trop hermétique pour ne pas effrayer un public sans doute plus habitué à un écrin plus classique pour exprimer la douceur de ses compositions. De fait, The Lake avec sa production ambitieuse ou ses arrangements soignés et imaginatifs propose une belle variété de paysages sonores qui non seulement s’exprime titre après titre mais aussi parfois dans des constructions de morceaux souvent moins linéaires et plus travaillées, vallonnées comme des volcans débonnaires, passant du calme de l’estran à la rugosité verticale de la falaise en quelques instants.
Ainsi, aux titres pop et rythmés que sont Patineuse ou Dive Head First dans le rôle du tube puissant et racé succèdent des morceaux aux constructions plus alambiquées comme No Rising Sun, un des seuls rappelant quelque peu l’univers des anciennes compositions de Morgane Imbeaud avant un emballement tempéré, tout en retenue. Seule et Catch A Flame, sur un modèle similaire, se présentent comme de jolies balades tourbillonnantes, presque minimale pour la première, qui montent petit à petit jusqu’à atteindre une seconde partie qui ne rechigne pas à assumer un caractère épique que l’on connait chez Archive par exemple. Ça n’est d’autant pas un hasard puisque Forgiveness sur lequel l’atmosphère se fait plus tendue est justement un titre écrit par Robin Foster et Dave Pen d’Archive avec il forme le duo We Are Bodies. Mais comme chez bien d’autres, c’est dans les moments les plus contemplatifs que l’infinie délicatesse de la musicienne prend son envol et l’on se retrouve à planer comme une mouette ou un milan noir au-dessus de ces paysages si inspirants. Sur Fire, l’interprétation en duo avec la voix singulière et inspirée de Lonny n’est que le premier temps d’un merveilleux dyptique formé avec le tout simplement sublime Seven Lies, deux morceaux sur lesquels plane l’ombre des deux Morgane, celle qui doute au plus profond d’elle-même et celle qui fait preuve d’une force de résilience propre aux femmes qui osent. Ne reste plus alors qu’à se laisser aller à ce besoin irrépressible de se perdre pour mieux se retrouver en se laissant dériver sur les flots paisibles de The Lake, trop courte conclusion d’un disque, ça sera bien là son unique défaut, qui aurait peut-être mérité ici son long crescendo d’anthologie tel que le voisin du hameau de Douharesse savait si bien en écrire pour basculer dans une dimension encore plus magique.
Mais ne boudons pas notre plaisir : avec The Lake, Morgane Imbeaud bien accompagnée de son miroir artistique Robin Foster parvient à se créer un univers semblable à nulle autre, passionnant de bout en bout. Si les superlatifs poussent comme la gentiane en été sur les pâturages verdoyants des volcans d’Auvergne, c’est que la performance est ici tout simplement superbe. Si on peut parfois à tort et à travers parler de renaissance, le terme prend ici, à la lumière de l’histoire de Morgane Imbeaud une saveur particulière. Avec un album touchant du doigt la perfection comme première étape du reste de sa vie, on lui souhaite d’en avoir dorénavant suffisamment appris sur elle-même pour aller définitivement de l’avant car si, souvent, les plus belles œuvres artistiques naissent de la douleur de leurs auteurs, paix et sérénité peuvent aussi devenir des inspirations puissantes. Il reste après tout bien d’autres lacs et littoraux à découvrir.
02. No Rising Sun
03. Patineuse
04. Forgiveness
05. Dive Head First
06. Fire
07. Seven Lies
08. Seule
09. Catch A Flame
10. Sage
11. The Lake