On n’avait pas réécouté la musique d’Anvil depuis leur heure de gloire mainstream célébrée avec le documentaire devenu culte The True Story of Anvil (2008). A cette époque, le petit monde de la musique s’était pris d’affection pour le groupe de Steve « Lips » Kudlow dont la saga de anti-héros (et de zéro succès) avait non seulement séduit mais permis d’attribuer rétrospectivement au groupe la paternité (bâtarde) du speed metal et accessoirement de s’aligner sur nombre de gros festivals.
Depuis, le groupe est resté en activité et a repris son petit bonhomme de chemin, s’offrant un album tous les deux ou trois ans et continuant de s’activer. Le cru 2018, Pounding The Pavement, a rencontré un bel écho critique et permis aux Canadiens de s’offrir une vraie et belle tournée européenne de près de trois mois. La livraison 2022 est toute chaude et constitue le 19ème album officiel du groupe. Kudlow et Robb Reiner (le batteur fondateur) sont aux manettes comme d’habitude, soutenus depuis une petite décennie par le bassiste surpuissant Chris Robertson qui chante aussi à l’occasion. Pour les puristes, Robertson a la particularité de jouer du manche à mains et doigts nus, ce qui donne une brutalité à ses attaques qui s’accorde tout à fait à la bestialité du jeu de Reiner. Autant dire qu’avec lui à la basse et au chant de complément, Anvil n’a pas besoin de gonfler son son et atteint une puissance et une force de propulsion qui sont tout à fait épatantes.
Par delà l’envie des bonhommes, il y a une pureté et une franchise dans les approches du groupe qui constitue au fil des décennies un vrai trésor. Fire Rain, par exemple, est un modèle du genre, hargneux, belliqueux et archi classique. Le chœur confère au tout un effet stade tandis que la basse et la batterie bourrinent à l’arrière-plan. Anvil évoque, pour les amis routiers, une déambulation automobile nocturne où le chauffeur se retrouve nez à nez avec un camion en feu. On pense à Duel de Spielberg ou même à Mad Max. Le solo de guitares de la première minute est une tuerie autoroutière qui ravira ceux qui détestent d’ordinaire les solos de guitares. C’est toute la force d’Anvil que de faire accepter par des bouseux comme nous des trucs qu’ils ne supporteraient chez aucun autre. Entre la subtilité du morceau d’ouverture, Take A Lesson, son évidence mélodique et son riff incendiaire, et le bagarreur et mystérieux Ghost Shadow, Anvil n’est souvent pas aussi idiot qu’on le pense. Ghost Shadow fait penser à une version hard rock du combat de Tobie et de son Ange. C’est puissant et pas sans inspiration, chose qui se vérifie au fil des quatorze morceaux. Another Gun Fight s’engage en faveur de la limitation des armes et s’accompagne d’un joli texte :
Criminal behavior, a living that doesn’t pay
Dead upon the pavement, the results of gun play
Own one for protection, not in commission of a crime
Just for illegal ownership, give them mandatory time
Le message est quelque peu surécrit et convenu mais ce n’est pas donné à tout le monde de poser une chanson aussi efficace sur un tel thème. Le solo guitare/batterie fait le reste. C’est du très bon niveau, à la fois accessible aux non spécialistes de metal et qui ravira aussi les amateurs de metal classique. Lips n’a pas fait de gros gros effort pour varier ses mélodies vocales et privilégie souvent la lisibilité à l’interprétation, si bien qu’on ne se plaint pas quand il disparaît pour un instrumental anecdotique mais carrément sympa comme Teabag. Tout n’est pas bon chez Anvil (on s’ennuie un peu sur Don’t Look Back et on a pas assez de cheveux pour agiter la tête en rythme sur Someone to Hate), ce qui n’empêche pas de goûter des textes souvent intelligents et engagés. Anvil est un groupe conservateur musicalement mais socialement progressiste. L’album prend comme thème majeur la gestion de la violence, urbaine et quotidienne. En guise de solution, Lips appelle la magie à la rescousse pour un Wizard’s Wand qu’on croit d’abord emprunté à la période électrique de T Rex avant que les guitares en rafale ne l’emportent. On pense pas mal à Slayer et à tous ces groupes énormes que les obscurs Canadiens ont influencé presque malgré eux.
Lockdown tire la bourre à Renaud concernant les chansons du Covid les plus ridicules. La musique est sans imagination et le texte prête un peu à sourire :
Sickness all around
Vaccine will soon be found
To end this misery
Trapped in quarantine
By Covid-19
Stop this calamity
Stop this calamity
Mais difficile d’en vouloir à un groupe qui s’échine à perdurer et témoigne partout ailleurs d’une belle rigueur et d’une abnégation splendide. Le disque se termine d’ailleurs remarquablement avec le chouette The Rabbit Hole et l’impeccable instru festif (on se croirait dans une chute de studio de Pogues survoltés) Gomez.
On ne vous dit pas qu’on va faire de ce disque notre disque de chevet mais il y a plus de musique, de franchise et d’allant que dans nombre de productions du moment. Anvil est un bon point de départ et d’arrivée pour garder le contact avec la belle et vigoureuse galaxie metal et Impact Is Imminent une production plus que convaincante et estimable qui nourrit la flamme.
02. Ghost Shadow
03. Another Gun Fight
04. Fire Rain
05. Teabag
06. Don‘t Look Back
07. Someone To Hate
08. Bad Side Of Town
09. Wizard´s Wand
10. Lockdown
11. Explosive Energy
12. The Rabbit Hole
13. Shockwave
14. Gomez