The Supermen Lovers / Body Double
[La Tebwa]

6.9 Note de l'auteur
6.9

The Supermen Lovers - Body DoubleUn an que cet album se faisait attendre, se voyant constamment reculer suite aux embouteillages de sorties post-Covid. Autant dire un bail ! Près de dix ans après son dernier album studio Between Ages (2011), The Supermen Lovers nous présente enfin Body Double, résultat d’un trauma amoureux vécu sur les terres des Carpates : l’Ukraine, voyons ! Le pays n’a pas attendu la guerre pour être un Halloween continu, rempli probablement des plus dangereuses fellatrices du monde et autres démones à langue fourchue.

L’introductif Clock Sucker a le mérite de dresser rapidement son décor disco, plus proche de l’image d’Épinal que de la carte postale. Nous voilà nuitamment plongé dans l’univers barré et baroque de Guillaume Atlan, si reconnaissable et, à entendre les hurlements, on va probablement passer un sale quart d’heure. Le violon mal articulé renvoie à toute péripétie sous haute alcoolémie, à quelque chose de douloureux, mais auquel nous allons finir par céder. Le pont au clavecin de cette longue introduction, exagérément cartoonesque, fait plus volontier référence aux compositions de Pino Donaggio pour les giallos de Dario Argento qu’au film éponyme de Brian de Palma, mais soit. Atlan fonce, comme souvent, avec les gros sabots ; c’est un peu la signature de ce nounours allant en voir de toutes les couleurs : un gros délire de fumeur de moquette. Hop, on empoigne nos tickets cahin-caha et on décolle pour Babylon.

Sugar vampire

Après avoir raté trois avions (de chasse) à l’escale, on s’écoute le réconfortant I Got To Know, dans cette même veine électro-disco de TSL. Sur cet accord de guitare funky, folk et agraire moult fois entendus, Geyster prend l’accent de Jamiroquai. On a plus l’impression de se diriger vers les États-Unis que l’Ukraine, mais on plane tranquillement au dessus du grenier à blé d’Europe. À peine arrivé à Kiev, on file vers le premier date Tinder pour un Tête à Tête léger et sans pression, juste avant… qu’elle nous sorte des horreurs de pimbêches vénales. Voilà le problème avec The Supermen Lovers que l’on évoquait avec le lamentable Requiem for a Bitch : le sabotage. Alors qu’il tient un inconnu duo Obii & Kim fonctionnant bien, la piste se voit abattue par un discours salace, peu drôle (même si… la fille de l’Est a un accent… asiatique : kamoulox ?) et on ne peut plus caricatural, pouvant inutilement faire saliver le détecteur à sexisme. C’est avec ces pistes que l’album prend cher, et nous avec, déjà épiés par des centaines de Amber Heard slaves terrées dans l’ombre des rues. On saluera le courage que demande le mauvais goût, mais tout de même, voilà une belle piste foutue en l’air.

Une fois les cinq Ginto’ pour notre pomme, dûment payés en bon Pigeon de service, Atlan nous requinque d’angoisse avec cette piste gentiment kafkaïenne, et dont la quantité est suffisamment dosée pour rester dans son monde loufoque et chaleureux. La piste ne paye pas de mine, mais, avec un peu de recul, c’est un peu la musique qu’on aimerait entendre de Mr. Oizo si celui-ci se décidait à être authentique. Le séjour s’annonce décidément sous les meilleurs hospices.

She Doesn’t Care That I Know est underground comme de l’UMEK, sombre comme la discothèque géante dans lequel nous pénétrons. Comme le nom en témoigne, la morphologie de l’album est bicéphale : loin d’être un grand disque, TSL atteint un bon point médian dans cette configuration double ; une partie électro-disco et lumineuse à la Cerrone, une autre plus nocturne et club à la Da Fresh. Et il faut dire que l’on ne s’attendait pas à voir autant de titres club avoisinant des morceaux FM. Là où on déplorait ces derniers temps des albums électroniques n’arrivant pas à atteindre cette « unité plurielle » sans tomber dans l’unitonalité, Body Double a les formes là où il faut. Et soudain, la terreur nous saisit : elles nous mirent, et elles sont… partout, partout, partout. Transpercé de toutes parts par le female gaze, notre tête tourne pour cette Young Girl & Old Man qui délaisse l’ambiance giallo pour enfin migrer vers les synthés de série B, le morceau agissant comme un mal de crâne qui s’élance puis s’éteint indéfiniment. En ces terres, nous constituons une proie. Profitant d’une dragée insidueusement mise dans notre verre de vodka (on était certain d’avoir commandé un Champomy), sirènes et succubes nous sucent les globules (et au passage notre livret A) jusqu’à l’écroulement…

Mords-moi si tu peux!

Call My Name nous fait passer un mauvais moment en préfigurant ce qui risque de nous arriver : se faire enfermer dans un mariage d’argent avec la pire des vamps. L’écriture nous arrache quelques sourires, mais reste d’une vulgarité sans nom, à nous évanouir une seconde fois (« When you’re falling asleep / I just click on YouPorn« ). On organise en douce alors un vampirocide en passant sur la première enceinte l’horreur Requiem for a Bitch, ce qui a pour effet d’abattre votre ennemi du premier coup ; puis on se fait la belle avant l’arrivée de la horde de harpies luxurieuses, en espérant que les chars achèvent l’affaire en charnier. Enfin un peu de Quietness After Desire, moment de trêve au xylophone exotique et au combo guitare / voix évoquant presque certains travaux de Moby, les paysages d’un Americana givré et recouvert de frais. On triche un peu en rapportant tout à l’Ukraine, car on s’aide du descriptif de presse nous indiquant que l’album est, d’une certaine sorte, autobiographique. Mais ces rares anecdotes, quoique clichées et superficielles, sonnent assez justes pour l’oreille avertie sachant les attraper au vol !

On aimerait que la jovialité de Guillaume Atlan s’exprime de manière différente, moins infantile, comme le bon My Only, dont la texture de funk filtrée rappelle la french touch sortie du four au tournant du millénaire, en particulier celle d’Alan Braxe, de Stardust ou Demon, mais réhaussée de basses qui charbonnent et de petites pincées de xylophone. Mais c’est surtout Boomerang Boomerang qui nous tape dans l’œil. Avec dans les côtes l’un des groupes de tropical house français les plus prometteurs pour la relève, Mozambo, The Supermen Lovers compose sans doute son meilleur morceau depuis cinq ans. L’usage des cordes perforant au pilon le cœur de toutes les dernières michtos à nos trousses, tri le bon grain de l’ivraie. L’usage du vocodeur faisant évidemment un clin d’œil aux Daft Punk n’était pas nécessaire, mais elle nous rappelle qu’Atlan fait parti du premier escadron de cette french touch, en plus de nous donner irrésistiblement envie de danser. C’est sans doute la trace d’Éric Chédeville, collaborateur de longue date de Guy-Manuel de Homem-Christo, ayant travaillé sur cet album ayant eu une genèse chaotique. C’est donc sur ces titres que l’on préfère s’attarder, femme vitale à la main, à conserver les souvenirs d’un album certes estropié et grotesque, parfois brinquebalant et maladroit, mais toujours endiablé et sincère.

Tracklist
01. Clock Sucker
02. Pigeon
03. My Only (ft. Ashley Slater)
04. Quietness After Desire
05. She Doesn’t Care That I Know
06. Tête à Tête (ft. Obii & Kim)
07. Call My Name (ft. Georges Sound)
08. Young Girl & Old Man
09. You Can Go Outside & Play In The Snow
10. I Got To Know (ft. Geyster)
11. Boomerang Boomerang (ft. Mozambo)
12. Requiem for a Bitch (ft. Yann Destal)
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2 Comments

    1. says: Dorian Fernandes

      Eh bien… les deux en fait! L’album est un peu volatile.
      J’ai toujours apprécié le travail de The Supermen Lovers, qui, selon moi, a trop été ombragé par son succès « Starlight » en 2001. Il est un artisan majeur de la french touch, et est à la tête (je crois bien qu’il l’a fondé, mais à vérifier) le très bon label La Tebwa (logeant Demon, Victorine, Chromatik, Neumode), tout en composant des BO de film. Bref, il a fait son bout de chemin et n’a pas à rougir de l’univers électro-disco qu’il a créé. Mais TSL est capable du meilleur comme du moins bon, et c’est d’autant plus dommage lorsqu’il tient une bonne piste en l’abîmant.

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