[Instantanés#1] – Quand Hayden voyait les choses Bad As They Seem (1995)

Hayden - Everything I Long ForNotre rapport à la musique est fait de fils qui nous relient à des instants, à des chansons, à des artistes, des instruments, à des scènes de concert ou des événements personnels. Ni bons, ni mauvais, ni cultes, ces fils tissent un motif qui trahit ce que la musique est pour nous et ce qui fait qu’elle compte autant. La série [Instantanés] en présentera quelques uns comme on raconte des souvenirs, fugitifs ou à demi effacés et pour ce qu’ils sont : des traces, des gribouillis de l’histoire.

On ne sait plus si c’était la pochette, amicale, un brin ridicule et floue, ou qui au juste nous l’avait fait découvrir mais en 1995, en pleine brit pop galopante, l’Histoire avait ouvert une drôle de brèche avec l’apparition sur la scène indé du Canadien Hayden. Paul Heyden Desser avait alors 23 ans et venait de livrer son premier disque véritable pour le label qu’il avait lui-même monté, Hardwood records. Ce n’était pas une pratique si courante à l’époque qu’un artiste monte son propre label et, pour tout avouer, on s’en foutait un peu.

Avec ce disque, Everything I Long For, Hayden qu’on avait jamais vu et dont on ne connaissait pas le visage (pas d’internet en ces temps là) traçait à sa façon une voie inédite entre le folk et le grunge, initiant avec sa chanson référence, Bad As They Seem, une alternative surprenante et flippante à la pop anglaise. Par delà le jeu de guitare folk, et le renfort sur ce morceau de l’ingénieur batteur Joao Carvalho, Hayden nous glaçait les sangs. On croyait au monstre et on se demandait de quoi il parlait. Le texte qu’on déchiffrait fébrilement avant de découvrir le clip nous désarçonnait. De quoi s’agissait-il ? Est-ce qu’Hayden fantasmait sur une fille de 16 ans ? Est-ce qu’il parlait de la mère de cette fille ? Est-ce qu’il pensait les sauter toutes les deux ?

Girl of my dreams
Things are as bad as they seem
She is only sixteen
That’s why she’s only a dream
Woman of my dreams
Lives right down my street
Has a daughter who’s sixteen
That’s why she’s only a dream

Bien sûr que la fille de nos rêves avait 16 ans. Bien sûr qu’elle portait ce genre de jeans, un peu trop haut sur la taille et pincé aux cuisses. Bien sûr que sa mère était belle et frisée comme dans une série américaine. Bien sûr qu’on se sentait comme lui, un peu paumé et abandonné sur notre lit. Hayden était-il un putain de pédophile ou juste un gars qui tondait sa pelouse à la Ned Flanders en fantasmant comme un fou sur les girls next door du quarier ? Et pourquoi est-ce que les choses étaient aussi mauvaises que ça ? Qu’est-ce que cela cachait ? Avant l’intelligence, il y avait Hayden : le gars qui précédait Desperate Housewives, le gars qui était comme Lynch pour nous et qui nous incendiait de cette voix craquante et étrangement rocailleuse pour un type de cet âge. Est-ce lui qui avait tué JonBenét Ramsey, la mini miss ? Hayden chantait comme une sorte de Neil Young croisé avec Jay Mascis, un truc improbable un peu roots et crade à la fois, grunge et intranquille. Le problème est que sa voix souffrait du désir accumulé, de la soif d’aimer. C’était gênant pour lui et cela nous ramenait à notre propre solitude.

Par la suite, Hayden est repassé dans la clandestinité. On l’a redécouvert fortuitement avec Skyscraper National Park en 2001. Il était un peu plus country que dans notre souvenir. Assagi et plus romantique mais pas forcément moins intéressant. Les choses étaient bien pires que ça. En 2015, on a regardé son live et on s’est dit qu’on aurait dû y revenir plus tôt. Les années passent. Les souvenirs s’effacent. Mais ça ne s’améliore pas.

House of my dreams
Things are as bad as they seem
My parents’ house I’ll stay for free
Until I’m at least forty-three

What do I do this for?
Got to get out some more
Go down to the grocery store
Meet someone I’ll adore
Someone who’ll make me laugh
Someone to be my better half
Keep me warm under the sack
Share with me my midnight snack

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