Les musiques électroniques sont aujourd’hui aussi inaudibles que le rock à guitares. Elles n’auront pas réussi, comme on l’annonçait il y a vingt- cinq ans, à renverser la table des genres et à devenir populaires en elles-mêmes. L’évolution du groupe Autechre est à cet égard symbolique d’un lent basculement vers un art abstrait, de plus en plus complexe et coupé des masses. La dernière livraison discographique du duo mancunien NTS Sessions 1-4 ne durait pas moins de 480 minutes. Passionnante de bout en bout, déroutante et offrant des moments de grâce inouïe, elle devenait par sa démesure autant un geste artistique qu’une œuvre tournée vers un quelconque public. Aussi est-on à demi surpris de voir revenir Rob Brown et Sean Booth avec un SIGN accessible et qui nous renvoie à cette époque de l’électronique où quelques grands noms pionniers, Autechre, Aphex Twin ou encore Orbital avaient réussi à pénétrer le marché et à diffuser des albums électro instrumentaux capables de rivaliser en séduction avec les grands albums rock du moment.
SIGN est un album presque classique pour le groupe de Rochdale. Il se compose de 11 plages d’une durée de 5 à 7 minutes et s’appuie surtout sur une recherche mélodique, presque directe et quasi miraculeuse. Autechre dévie la trajectoire de son IDM (intelligent dance music) devenue un étirement acid sans fin, pour la ramener vers une forme d’ambient mélodique, aérienne et pleine d’enthousiasme. Les titres s’énoncent comme autant d’algorithmes cryptés, codés mais aussi presque humains et organiques. M4 Lema à l’ouverture reste une pièce assez difficile d’accès mais qui s’éclaire après la troisième minute. Les machines ouvrent un espace où un dialogue esthétique est possible et même suscité par l’algorithme. La main est tendue d’emblée et ne sera jamais retirée. F7 qui suit ressemble vraiment à du Orbital, engageant et dance, mais dont on aurait déconnecté la montée en pulsation. Il ne faut évidemment pas s’attendre avec Autechre à ce que les pieds s’enflamment. Ca gazouille plus que cela ne crépite mais il y a de la lumière à tous les étages et des éclaircies émouvantes qui donnent une texture pop inattendue à l’ensemble. Esc Desc est un morceau lumineux qui déroule son rayon de soleil comme un ruban sur près de cinq minutes. Autechre dévoile avec cette pièce ce qu’il peut y avoir de sacré dans l’automatisme, comme s’il s’agissait de donner accès à la clairière qui abrite le cœur battant du groupe, sa source d’énergie intime, son refuge domestique. SIGN est un album d’ambiances et de signes posés pour l’interprétation. C’est une énigme à hauteur d’homme, familière, qui tranche avec la démesure et le caractère insondable des disques précédents. Autechre était un groupe qui semblait explorer l’espace, les galaxies, la finitude du monde. Il se met ici à arpenter notre arrière-cour comme s’il devenait un voisin comme un autre. Metaz Form8 est une proposition splendide, délicate et grave. Quelques notes de clavier piano synthétique viennent domestiquer le vrombissement informe de la machine, avec une lisibilité d’intention qui rappelle Debussy.
Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins, on reste dans de l’électro pure et dure et que d’aucuns peu familiers du genre qualifieront d’aride et sans relief. Autechre joue sur la texture et les tons plutôt qu’en abusant des modulations et des ruptures de rythme. La musique agit dans la durée et est quelque peu handicapée ici par l’absence de progression et la limitation des plages à quelques minutes. Sch.mefd2 ne parvient pas à trouver sa forme définitive et s’offre pour ce qu’elle est : une proposition désordonnée ou une matière souple et qui glisse et décroche de sa propre ligne. C’est dans cette fluidité extrême des tracks (là encore quelque chose d’assez inhabituel chez Autechre) que SIGN intrigue et conquiert une forme de sensibilité humanoïde. Avec gr4, l’un des morceaux les plus touchants, on a l’impression d’assister à la naissance de quelque chose, un veau, un jeune animal, une vie extraterrestre. La fraîcheur qu’on éprouve à l’écoute de ces morceaux est réellement étonnante quand on sait que le groupe s’est formé en 1987 et a derrière lui une quinzaine d’albums et près de 35 ans d’existence.
SIGN est une vraie curiosité qui pourrait très bien fonctionner comme une introduction aux travaux précédents du groupe et au genre tout entier. Que ce disque arrive si tard dans le travail d’Autechre n’est probablement le signe d’aucune volonté d’épure ou de retour à un format pop qu’ils n’ont jamais vraiment fréquenté, pas plus qu’il n’indique une quelconque volonté de démocratiser l’accès à leur musique. Comme ils ont fait long, sans doute ont-ils trouvé amusant de prendre le contre-pied de leur précédent disque et de ramasser leurs idées. Le concassage leur va bien. Psin AM tient bien ses six minutes vingt et r cazt est un beau final aux allures de symphonie magnifique. Cette dernière plage est non seulement le plus beau morceau du disque mais un track qu’on se verrait bien emporter dans un voyage galactique pour témoigner de ce que les machines fabriquaient, sous notre conduite, de plus sophistiqué et juste à notre époque.