[Soup Music #16] – Aya Nakamura / DNK
[Rec 118]

2.7 Note de l'auteur
2.7

Aya Nakamura - DNKLa question se pose toujours de savoir ce que fait le grand espoir de la variété internationale française dans une rubrique qui tourne un peu (mais pas tant que ça) au ridicule des représentants du mainstream musical international et français. La réponse n’est pas qu’une question de goût ou même de génération, mais on doit reconnaître qu’écouter ce quatrième album d’Aya Nakamura, DNK, que la critique même pointue et « spécialisée » (entendre de gauche bourgeoise) a plutôt bien accueilli, reste une expérience aussi surréaliste et confondante qu’éprouvante.

Par delà le blocage « primitif » qu’on peut éprouver à l’écoute de ce « Rnb synthétique » pratiqué par la diva et qui influence nécessairement notre jugement comme il le faisait sur le précédent, DNK est une épreuve référentielle, poétique et musicale.

De quoi ça cause tout d’abord ? Hé bien essentiellement des relations de couple et d’amour, dans un contexte de turbulences qu’on imagine influencé par la propre séparation de l’artiste avec son copain (séparation qui a fait les choux gras de la presse… et de la justice). Coller ou décoller ? Telle est la question, unique, centrale, étouffante presque à ce degré d’obsession (Fin).

« Tu fais trop semblant avec moi (Avec moi)J’ai compris c’était quoi ton délire (Ton délire)J’ai compris que làIl fallait mettre fin (Fin, fin)Mais c’est pas si facile que ça (C’est chaud) »

On se souvient vaguement que ces questions nous turlupinaient à la sortie du collège mais il reste étonnant qu’elles épuisent aussi l’inspiration d’une jeune femme moderne et éclairée de 27 ans. La relation amoureuse est traitée comme une variante du jeu du chat et de la souris, où l’on se chasse, se repousse, se frictionne, en variant la distance et l’humeur. Aya Nakamura entretient un rapport singulier à la cruauté sentimentale et au harcèlement qui est peut-être bien sa plus grande singularité. Peur de l’engagement sur T’as peur. Vie sexuelle frénétique sur Tous les jours. Incompréhension dans le couple avec Daddy ou encore repentir et addiction (SMS), Aya Nakamura dessine avec ce DNK qui se veut au plus près du réel une sorte de Carte du Tendre au ras du sol et un peu pauvre comparée à des décennies de chansons sentimentales. La moindre bluette de Jonathan Richman, chantée sourire aux lèvres et accompagnée simplement à la guitare, semblera plus dense, riche et profonde que la quasi totalité des 14 morceaux de ce disque.

Tu m’as rendue bombastic (Effet fantastique, yeah)Effet fantastique (Fantastique)Au début j’étais ta kitty (Kitty, kitty)Mais tu m’as montré le pire (Le pire)Tu m’as trahie (Tu m’as trahie)Moi j’ai du avancer (Moi j’ai du avancer)Ouais, c’était obligé (Ouais, c’était obligé)Moi j’ai du avancer (Moi j’ai du avancer)

Cette séquence sur Bloqué est peut-être la plus « complexe » du disque, c’est dire. DNK ne parle de rien d’autre, ni de la vie qu’on mène, ni d’un quelconque « point de vue », ni de rapports sociaux ou de genre, l’époque se résumant à la fourniture de « services » et de technologies tels que… le SMS ou les réseaux sociaux. L’univers est résolument adolescent, hautement régressif mais sexualisé, étrange mélange de naïveté et de maturité corporelle. Le recours à des featurings masculins ne parvient jamais à enrichir la perspective comme si l’expression en pauvreté était partagée parfaitement entre les deux côtés de la corde à linge.

DNK se situe contrairement à ce qu’on lit parfois à un niveau de langue et d’inventivité poétique très médiocre. Les extraits précités en témoignent et on pourrait évidemment les multiplier à l’envie et à charge.

« C’est tous les jours pété, baeTu fais semblant d’m’ignorer (tu fais semblant d’m’ignorer)Mais moi j’voulais pas tout ça, tout çaC’est tout, le tout, le tout ou rien (rien)J’veux tout savoir de toiJ’veux tout, le tout de toi (toi)Tu veux tout savoir de moi (de moi) »

La réputation d’une Aya Nakamura qui créerait de « la langue » est assez largement surfaite même si on trouve ici ou là quelques formules qui ne sont pas dénuées d’intérêt. Beleck fait figure de laboratoire créatif, pour la musique et les textes :

Il veut catchana baby, doucementMe chopper doucementLui il a la gâchette, ouh, c’est mortIl veut m’trémousser

Ce n’est pas si mal et on retrouve aussi une bonne séquence sur Haut Niveau qui peut servir le mythe d’un renouvellement du verbe par Nakamura.

Bam bam, tout d’un coup le boug est loveLe blanc s’était s’enjailléBam bam, tout d’un coup le boug est love (Bam bam)Il voulait me cadenasser (Cadenasser)

Pour le reste, l’imaginaire reste assez pauvre et les carambolages poétiques autant le résultat d’une volonté à l’oeuvre et d’une force innovante que d’une street syntaxe accidentelle. S’extasier devant les textes de DNK relève de la perversion, quand ceux-ci explorent un territoire aussi vaste qu’un demi-timbre poste. On reste partout et tout le temps dans le champ d’une variété moyenne gamme, dénuée de portée mais paradoxalement universelle « par défaut » d’à peu près tout.

Reste la musique qui rattrape un peu l’affaire. Les productions sont solides, le son parfaitement équilibré entre la voix/les voix et l’accompagnement. Le fond de sauce évolue autour d’un centre de gravité RnB synthétique (et dopé par la voix autotunée) contaminé par des échos zouk et afro. Les sonorités zouk sont assez curieuses et imprègnent jusqu’à la voix elle-même sur le single Baby. A côté de prods assez génériques comme sur un Daddy sans grand relief ou gentiment douceâtres comme sur Cadeau, on trouve des choses bien plus intéressantes à l’image du presque pop SMS ou des accents latino portés par le passage plutôt convaincant du lover Myke Towers sur T’as Peur. Beleck est une vraie pièce dancehall dont le motif n’aurait pas dépareillé sur le dernier disque de Tristesse Contemporaine.

L’ensemble se déguste au final le plus rapidement possible mais sans sensation de déplaisir majeure. On se situe avec Aya Nakamura comme avec les autres dans un coeur-de-Soup appauvri et débarrassé de toute aspérité. Le disque s’écoule plus qu’il ne s’écoute, capable d’enclencher/déclencher parfois un sourire, un pas de danse, d’attirer l’attention sans jamais la retenir. On peut se demander s’il ne vaut pas mieux aller pêcher plutôt que d’écouter ça.

Tracklist
01. Corazon
02. Baby
03. Daddy (feat. SDM)
04. SMS
05. Tous les jours
06. T’as peur (feat. Mike Towers)
07. Beleck
08. Cadeau (feat. Tiakola)
09. J’ai mal
10. Coller
11. Le goût
12. Chacun (feat. Kim)
13. Haut Niveau
14. Bloqué
15. Fin
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