Un disque pop brillant, majoritairement uptempo, vibrionnant et pétri d’humour : voilà en quelques mots à quoi ressemble Baby Love, le nouvel album de Jean-Louis Murat. Ce 20ème essai (bon sang, on rêve déjà du coffret à sa mort !) est sans conteste une immense réussite qui fait écho à ses disques les plus séduisants et exigeants des années 90. Les premiers titres avaient donné le ton d’une musique lumineuse, pop, agitée de sonorités « plus jeunes », de synthés années 80 et d’échos : l’album confirme cette sensation d’un album délibérément tourné vers une forme de lisibilité contemporaine et ayant pignon sur l’air du temps. Il faut écouter l’impeccable Réparer la Maison, produit « à la Kanye West », pour s’en rendre compte. Murat est le plus moderne des modernes et le seul capable d’employer les mots « coquelicots » et « vipère » dans une chanson sans que cela paraisse incongru ou complètement désuet.
Baby Love, avec sa pochette tape à l’œil rose et noir et son lettrage énormissime, est un album « qui pète », un album qui veut se faire repérer et taper à l’oreille de son auditeur. C’est un album qui démarre pour ainsi dire en fanfare avec un Troie cuivré et alerte, malicieux et séduisant. Murat enchaîne avec Le mec qui se la donne, chanson classique où la langue poétique est fécondée par l’époque. « Rien à faire de l’histoire, j’ai rendez-vous chez le Soir. Idem le territoire, alors là toi t’écrase ! Tiens voilà le mec qui se la donne », chante Murat avant de verser dans un final aux sonorités funky. Le reason why (dont le titre intriguait) est l’un des meilleurs morceaux de l’album. Le texte est formidable, mêlant des champs référentiels variés et des fulgurances remarquables. « J’ai su en passant la rivière que la pièce était jouée/…/ ok, dégage, chuchota l’avocate. Cette fois c’est la guerre/ Harley, toujours aussi con s’était fait croquer le manche/ J’ai dit : « ta gueule, putain de forêt, c’est toi qui attire l’orage » ». C’est un festival de formules et d’inventivité avec un résultat qui sidère et fascine sur plus de trois minutes. Le reason why présente Murat à son meilleur, inspiré et foisonnant. C’est ce Murat qui domine ici, enchaînant les morceaux comme à la parade avec de faux airs de caméléon. Réparer la Maison est groovy et alangui. Montboudif, décroché auvergnat (c’est le village natal de Pompidou), est le morceau le plus cool qui ait jamais cité Jacques Anquetil dans le texte. Et ce n’est pas fini.
La seconde moitié du disque est encore meilleure. L’Auvergnat sonne le Rebirth of The Cool sur la Princesse of The Cool, une pièce joueuse et anecdotique qui s’amuse à rendre tendrement maboule. Murat n’est jamais meilleur que lorsqu’il évolue en roue libre. La séquence de rimes en « oule » est à tomber, plaisante et en phase avec son sujet désinvolte et superficiel. Cela ne mène évidemment nulle part et donc droit sur l’un des titres les plus solides du disque : un Rester dans le Monde assez hermétique sur un fond disco-blues insolent et sensuel. Murat en dit assez peu sur les situations (un type dont le rapport au monde est motivé simplement par l’entretien d’une relation amoureuse) et allège ses couplets. La musique lui emprunte le pas, reposant sur quelques gimmicks rudimentaires et une guitare blues économe. On est à la limite du cabotinage sur Xanadu, pur exercice de style jammé/chanté sur fond de satire sociale. Murat fait du Philippe Katerine ou (osons-le) une parodie de Katerine. « Les libertines, c’est facile à dire, faut pas se tromper. Brune ou blonde y’a de la connasse mais pas ça. Alors dis, l’Afrique, c’est comment l’Afrique ? », dénonçant peut-être la superficialité du rapport à la vie de certaines personnes.
Murat revient avec Si je m’attendais à un registre plus intimiste et introverti. Le morceau est splendide, mélancolique, comme si, après avoir bien rigolé, il fallait revenir aux choses sérieuses. « Amour, je suis venu pour toi. » On a le sentiment de retrouver cette phrase d’album en album, comme s’il s’agissait, par la répétition des situations, de retrouver cette fraîcheur et cette vivacité de la présentation (de l’homme amoureux) à sa prétendante. C’est ce sentiment que donne l’album tout entier : l’idée qu’après tout ce temps, Murat a retrouvé le plaisir de se présenter devant nous, le plaisir de séduire, d’enchanter, d’amuser et de faire briller son regard. Alors que certains de ses albums étaient plus fermés, critiques ou centrés sur leur propre unité, Baby Love sent le plaisir et la jubilation à plein nez. Il tend la main à l’auditeur et s’entend comme une offrande, de mots, de sons, qui agite les neurones et donne presque envie de danser. L’hommage qui referme le disque à l’un des chanteurs référence de Murat, Tony Joe White, renvoie au vaudou, perçu comme force d’enchantement et de mise en mouvement des émotions et des corps. C’est ce pouvoir là que ressuscite Murat à travers cet album, cette capacité mystique et mystérieuse à faire lever les morts et à créer l’attachement.
Baby Love est un album de jeune homme, de séducteur et de conteur désinhibé, l’un des albums de variété française les plus impressionnants de ces dernières années. On peut y aller sans réfléchir…