On était ressorti du single de Baboust légèrement circonspect, mais confiant en l’album et ses promesses. Finis les journées pluvieuses et le marasme des passeports sanitaires. Munissez vous d’un casque avec l’album An evening at Daisyworld dans les oreillettes pour vous échappez de France, sans avoir à bouger de votre chaise allongée. Se blottir et fermer les yeux suffisent pour s’envoler à Daisyworld, constellation de plateformes en orbite, où chaque ville constituerait un titre, une ambiance. Parés pour le décollage? Départ dans 5, 4, 3, 2, 1…
Marcher pour se consoler
Nous pensions bien. Dès l’introduction, on entend le bruit de badauds attrapés dans le hasard des rues, et des grésillements nous rappelant à nos bons souvenirs le caméscope de famille.
Daisyworld a ces sonorités lo-fi qui nous évoquent les après-midis passés à jouer sur nos bécanes de salon, celle où nous promenions notre héros dans des quartiers, pas forcément si futuristes que cela, mais dont la tangibilité nous était inconnue, un peu comme on pénètre une ville connue mais jamais personnellement visitée à distance, à travers un univers de pixels. En bref, le vertige ressenti au contact d’un jeu vidéo comme Shenmue où une ville vaste nous était offerte, leur univers continuant à tourner dans nos têtes une fois la console éteinte.
Les sonorités de l’album, quelques fois répétitives, renvoient à cette époque où les jeux vidéo devaient, comme les débuts du cinéma, user de subterfuges pour nous figurer les choses. Les mélodies y étaient naïves mais d’une efficacité redoutable, entêtantes. Les graphismes, rétrospectivement grossiers, loin du photoréalisme d’aujourd’hui, et l’univers, techniquement morcelé, laissaient, par ses parcelles, un terrain vierge que l’imagination du joueur allait faire fleurir, ce dernier nous enveloppant à son tour. C’est l’effet procuré par An evening at Daisyworld.
Puisque l’on se situe encore sur la planète vidéoludique, Limited Version nous donne l’impression de coulisser de gauche à droite comme dans un bon vieux beat’em all des familles, où on rousterait des malabars à iroquois dans des rues malfamées, mais dans lesquels on aime à évoluer virtuellement, type Street of Rage, enfermé dans une chambre d’ado où la seule lumière serait la lueur bleutée de l’écran cathodique. Même si ces morceaux remplaçant les bits de consoles par les beats de musique ne sont pas les plus inspirés, Baboust évite de tomber dans la trappe des geeks passant leur temps à singer des thèmes vénérés de jeu vidéo. C’est probablement dû au fait que l’efficace rythmique hip hop domine les nappes retrowave, même si celle-ci n’a pas le panache d’un Comodo, ni la diversité du Aries Death Cult. On ressent aussi quelques moments d’urgence dans le planant, mais futuriste Distant Glider, un sentiment de légère inquiétude on ne peut plus normal ressenti au contact d’une technologie extraordinaire mais étrangère, où des bretelles galactiques raccorderaient des plate-formes citadines, flottantes comme des soucoupes. Nous insisterons sur le beau travail effectué, probablement avec un ami et quelques bouts de ficelles, sur la pochette qui nous y induit. Pourtant, avec cet album, l’heure est à l’accommodement : Néotokyo et sa campagne voltigent certes dans l’espace, mais les oiseaux y continuent à chanter, venue la saison des cerisiers. Baboust est là pour nous aider à voyager par delà les frontières physiques, la ville en arrière-fond sonore.
Ce rapport à la technologie se veut apaisé dans son Impossible Dream, bien plus optimisme. Le saxophone, instrument de prédilection de notre musicien, se veut joyeux et emphatique, bien mieux que sa figuration dans Driveway Color où il semblait s’être oxydé, donnant un son entravé. On a encore une marge avant de toucher la grandiloquence d’un Paul Desmond ou d’un Johnny Hodges, mais l’envie est là. Contrairement à l’album Nori, fable sur le dérèglement climatique traversé par des relents de craintes, l’album dépeint un futur accueillant d’une société sereine. C’est suffisamment rare de nos jours pour ne pas en profiter.
Les promenades du rêveur solitaire
Quittons les mondes vidéoludiques pour ceux de la japanimation. Celest Light ou Deep Memory semblent presque être la bande-son d’un dessin animé nippon des années 1980 et 1990, comme Nicky Larson, Golden Boy ou Cowboy Bebop, ces séries japonaises qui prenaient leur temps, encore loin de l’impératif hystérisant de celles d’aujourd’hui. Ces morceaux semblent être un parfait petit illustré sonore d’un Tokyo fantasmé par un gaijin qui ne la connaitrait que par le prisme de cette pop culture. Ces mélodies, ici reproduites par Bastien Griat via des sonorités anachroniques de ces années-là, fabriquaient ces petits moments qui faisaient toute la différence devant l’écran. Ce que l’animation américaine, incomparable de par le clivage culturel, n’a jamais systématiquement réussi à faire. Installer un univers palpable et pénétrable, voilà ce la japanime arrivait le mieux à faire. Avec Baboust, ces réminiscences remontent à la surface des souvenirs endormis. Sa musique convoque les petits riens de la vie faisant le grand tout de l’enfance.
Avant la promulgation d’un éventuel prochain confinement, profitez en pour vous dégourdir les jambes via des petites balades. Bird City, de même que [liquid side], sont appropriées pour les border. Cette fois, nous nous situons moins dans le domaine des souvenirs que dans nos vies respectives. C’est ce que nous conseillons d’avoir dans votre baladeur lors d’une virée, si possible nocturne, dans votre quartier, un samedi où vous n’auriez rien trouvé de mieux que d’aller voir l’au-delà de la dernière rue entreposée dans votre cartographie mentale. Bird City vous aère l’esprit, alors que [liquid side] vous endort de son rythme lent et jazzy et ses notes déformées. Nous viennent en mémoire des morceaux de petits producteurs de chambre comme Chinsaku, Phoniks, ou même l’excellent Hello Again de Midori, même si Baboust n’a pas encore atteint la maturité de ces derniers. On flâne alors sans but, comme un héros des bandes-dessinés de Jirō Tanigushi, une éventuelle terre d’accueil n’étant pas de refus. Les rues désertées par les ombres, les chats de gouttière sont de sortis. Quelques fenêtres sont ouvertes, et on se plait à imaginer la vie inconnue se logeant derrière cette vitre allumée en cette heure, avant de retrouver son lit.
À vrai dire, on aurait aimer plus de titre de ce tonneau, car ce sont les mieux ficelés, contrairement à Driveway Color ou Daisyworld. On se dira alors qu’il en existe une offre pléthorique de cet acabit, depuis l’avènement de Soundcloud. Ou, plus intéressant alors, ceux avec de véritables envolées de jazz, les jeunes savant jouer du saxo plutôt que seulement pianoter sur un ordinateur étant plus rares.
L’album souffre un peu de la comparaison avec l’ambitieux Nori, ou le solide Saggitarius A. On ne pourra reprocher à Baboust de rendre son album varié, ce dernier entremêlant retrowave (un peu), jazz (beaucoup) et rythmique hip-hop (passionnément). Ni l’ambition d’explorer des univers musicaux, certes connexes, mais différents à chaque album, avec le meilleur instrument qu’un vingtenaire sortant des études peut avoir : la débrouillardise. On ne serait pas étonné de le voir dans quelques années à la composition d’un petit jeu indie ou d’un dessin animé français. Baboust est un P(N)J à suivre.