On s’attendait plutôt, après le beau live du groupe l’an dernier et la chouette BO de Chambre 2806 (le film documentaire sur l’affaire DSK) par Sébastien Chenut, à retrouver les Scratch Massive sur un nouvel album solo (très attendu) de Maud Geffray. Mais c’est finalement en duo et sous leur étiquette principale que les duettistes électro signent leur rentrée avec l’édition numérique (only) de la BO composée pour le magnifique documentaire Préliminaires, réalisé par Julie Talon et écrit par elle-même et Mathieu Horeau. Diffusé au printemps, et toujours disponible sur Arte TV, le documentaire a rencontré un certain écho. Les fans du groupe, enchantés, ont réclamé pendant plusieurs mois la sortie de la BO et ont fini par être exaucés par le label du groupe, Bordel Records.
Côté images, sur une heure, la réalisatrice recueille, à partir d’un dispositif minimal (des interviews, des portraits entrecoupés de quelques scènes de transition, le tout filmé dans leur école), la parole de jeunes de 12 à 23 ans autour de la sexualité, et plus particulièrement de leur entrée en matière, d’où le titre Préliminaires. La parole des jeunes à cet égard est saisissante, souvent parcourue d’émotion (on n’évite pas quelques récits traumatiques), mais aussi assez sensuelle, parfois poétique et toujours pleine de vie. Le dispositif, plutôt statique, arrive à produire une dynamique vitale, voire vitaliste, tout à fait magique, où le visage des intervenants fascine par son caractère juvénile et le mélange assez incroyable de naïveté, de fraîcheur et parfois de dureté ou de crudité.
La bande-son proposée par Scratch Massive agit en complément de tout ça avec une subtilité, une délicatesse et une intelligence redoutables, épousant à la perfection la langueur adolescente par un recours rythmé à une ambient à la fois un peu planante mais aussi câline et qui souffle le chaud et le froid. C’est dans cette représentation musicale quasi parfaite et complexe de l’adolescence, âge des contraires mis en scène, que Chenut et Geffray excellent et réussissent à insuffler aux images une magie que le dispositif cinématographique n’induit pas naturellement. On y sent le doute, le sens du rêve, la confrontation du réel et de l’idéal, l’enthousiasme, l’envie de danser et de faire l’amour mais aussi, par moments, la peur, l’angoisse, la difficulté à éclore.
Junior a de faux airs de Kraftwerk et installe un suspense grâce à un recours à des vocaux fantomatiques. La prise d’amplitude se conjugue à la répétition du motif de base pour indiquer un passage ou un transit vers un autre état. Playground met en place un crescendo contrarié plein d’emphase et de lyrisme. Boxing Day est plus mélodique mais c’est sur le splendide Girls in The Bathroom qu’on déniche le véritable joyau de ce disque qui compte seulement sept plages. Le morceau est lumineux, fluide comme un ruisseau d’argent, porté par un motif riche en basses presque étouffé et éteint pour résonner à l’arrière-plan comme un coeur qui bat, des chairs qui se frottent ou une caresse qui passe. Il y a dans ce morceau tout un monde qui circule, qui s’éveille et se découvre. La pièce n’affole pas, elle file discrète vers sa fin, suggérant avec bonheur que la transformation (du sexe, de l’âge, du temps) se produit et agit au coeur des choses. Les amoureux du Scratch Massive machine à danser et fans de French Touch reporteront leur attention sur le final Over Again, belle expression du genre, attendue et ambitieuse, qui remplit tout à fait son cahier des charges.
Préliminaires (le disque) est un bel exemple de BO réussie. La musique ne vole jamais la vedette aux images : elle les complète, les étend et en multiplie les effets, tout en donnant, à sa façon, sa propre « version des faits ». Chenut et Geffray ne sont sans doute pas autre chose que ces ados qui parlent. Leur parcours en est la démonstration. Ils sont pop jusqu’au bout des orteils, suspendus à jamais à cet âge (tendre et cruel) où ils sont nés l’un à l’autre et à eux-mêmes. Leur œuvre est une prolongation de cet état par d’autres biais, une formule magique qui entretient l’illusion d’une jeunesse éternelle et d’une sexualité qui affranchirait des lois du réel. C’est au spectateur/auditeur qu’il appartient, en regardant le documentaire, de faire le chemin jusqu’à la triste vérité : cette affaire là (la vie, le sexe) ne tient pas toutes ses promesses. Mais c’est une autre histoire.