Benjamin Berton, dans sa récente chronique consacrée au single Dance With Me des new-yorkaises Beau, expliquait déjà le dilemme du quarantenaire qui ne peut que frétiller face à une jeune fille toute mimi balançant des riffs slackers ou pop-rock : « Cela dépasse sûrement le simple domaine de la musique mais écouter la musique de Beau nous renvoie instantanément à nos jeunes années, quand on rêvait des filles (blondes, trop blondes) de Virgin Suicides ou de partir en glamping le samedi avec quatre ou cinq copines sous une tente de toile étoilée. »
Sacré dilemme, en effet : doit-on laisser trémousser nos esprits vagabonds, faire comme si Pavement, Pixies ou Sonic Youth s’apparentaient dorénavant à des groupes de vieux, et acclamer, en feignant la jeunesse éternelle, la moindre gonzesse qui assure à la gratte (et qui détient des mélodies assez cools) ? Ou bien : blasés, vieux cons, sommes-nous obligés d’écouter nouveautés comme hypes, et obligatoirement les juger en fonction de l’Histoire du rock ?
Beabadoobee, alias Bea Kristi, lors de ses premiers singles (dont l’assez percutant She Plays Bass), donnait envie de suivre la seconde option : fuck l’héritage ! Fuck l’histoire du rock ! Surtout car son titre mastodonte se nommait I Wish I Was Stephen Malkmus (et l’intention du titre méritait de remettre les compteurs à zéro, de jouir au présent – toujours dans l’optique FTW).
Et puis il y a ce premier album, Fake It Flowers, qui sent quand même les grosses tatanes du label. Disque plutôt enivrant mais cadenassé, emprisonné dans une production sans gras, sans rayure, sans distorsion. Joli à écouter, lassant au bout de trois titres (tous identiques). Comme si Bea Kristi n’était plus cette adolescente fascinée par la fausse désinvolture Malkmus mais une jeune dame soucieuse d’arrondir les angles de sa musique.
L’auditeur pense ici moins à Slanted and Enchanted (nous en sommes dorénavant loin) qu’à une version gentillette du séminal Exile in Guyville de Liz Phair – Bea balance des « fucks » assez simplistes, sans trop savoir comment donner substance à cette idée de provocation verbale. Beabadoobee est une Liz Phair sans chair, sans expérience, sans ces mots, ou ces sonorités, qui permettent aux quarantenaires d’oublier leurs discothèques intimes et de soudainement fusionner avec un album comme si le temps venait de s’arrêter. Comme si hier et demain, c’était maintenant.
D’autant plus désespérant à écrire que nous aimions, soudainement novices, les premiers éclats pop de la demoiselle. Attendons cependant demain…