L’été prête à l’indulgence. Peut-être est-ce que le moment est venu de faire une vraie place, de ce côté-ci de l’Atlantique, à Lionel Richie parmi les grands chanteurs noirs de ces cinquante dernières années. Cela tombe bien, sa résidence au Zappos Theatre du Planet Hollywood Resort de Las Vegas vient de donner lieu à une captation exceptionnelle de ses « plus grands tubes » en un CD intitulé Hello From Las Vegas. Le live est enregistré « à l’ancienne » avec un certain nombre d’interactions un brin désuètes, mais sympathiques tout de même, entre le chanteur de 70 ans et son public endimanché venu passé un weekend de jeu et de paillettes dans le désert. Lionel Richie y va de ses « come on/ Clap your hands », incitant le public à reprendre ses chansons et à les entonner en joie. La production a fait une vraie place aux applaudissements et aux réactions des spectateurs, ce qui ne se faisait plus tant que ça dernièrement lorsqu’on éditait un CD live, mais cela ne gâte en rien le spectacle.
Car à côté de ça, la tracklist est un vrai régal et permet de redécouvrir un répertoire réellement incroyable qui démarre bien entendu avec les standards des Commodores, le premier groupe de Richie. Dans un registre pop soul puis plus funk et disco, le groupe de la Motown est beaucoup moins connu que les Jackson Five, dont ils feront la première partie au début de leur carrière, en Europe notamment. Richie passe du sax au chant à l’initiative du batteur Walter Orange qui assurait jusqu’alors les vocaux. C’est la révélation, qui fonctionnera tellement bien d’ailleurs que le néo-chanteur prendra la malle pour une carrière solo en 1982-83 . On retrouve ici Easy, dans une chouette version à l’ouverture, Three Times A Lady et bien sûr les deux standards funk irrésistibles que sont Brick House, dans un medley incandescent, et l’incroyable Fancy Dancer. Le public ne s’y trompe pas et frissonne de plaisir à chaque fois que retentit un de ces vieux titres.
Richie a gardé sa voix intacte ou presque. Elle est un peu moins souple et claire qu’il y a vingt ans mais cela n’enlève rien à la livraison dynamique et à la séduction de son timbre caliente. La configuration « Hits » et Las Vegas donne à ce concert des allures de fête pompière et de bœuf princier, même si on est chez Richie dans un registre plus contenu et moins propice aux expérimentations que chez Prince. La section cuivres est impeccable et la rythmique est assurée avec une précision métronomique. C’est exactement ce qu’il faut pour enflammer, avec méthode et application (et sans aucune ambiguïté sexuelle malgré la teneur érotique des textes), des chansons comme Dancing On The Ceiling, remarquable et qui ferait remuer du cul un éléphant de mer, ou envoûter sur l’éternel Penny Lover, une des plus belles chansons jamais écrites par le chanteur. Hello, chanson du milieu des années 80, donne une idée du classicisme à l’oeuvre chez Richie et de la justesse de ses intentions. Le texte est parfait, l’interprétation sans fioritures pour un effet maximal.
« I’ve been alone with you inside my mind
And in my dreams I’ve kissed your lips a thousand times
I sometimes see you pass outside my door
Hello, is it me you’re looking for?
I can see it in your eyes
I can see it in your smile
You’re all I’ve ever wanted, and my arms are open wide
‘Cause you know just what to say
And you know just what to do
And I want to tell you so much, I love you »
On n’en fera pas trop pour ne pas passer pour un affreux adepte du rétro-kitsch mais il est quasiment impossible de ne pas craquer pour un final à trois somptueux où se côtoient Say You, Say Me, bien entendu, LA chanson la plus incroyable, définitive et parfaite de cette soirée, We Are The World, coécrite avec Jackson justement, jouée avec mesure, retenue et délicatesse, et All Night Long (All Night), quelque peu chargée en crème tout de même. Ce dernier gros quart d’heure est un must et agit comme un tunnel temporel pour nous ramener quelque part dans l’Amérique des années 80.
Richie avait signé un beau live à Paris en 2007. Celui-ci est tout aussi bien et contribuera à faire oublier que le chanteur a été négligé pendant plus de vingt ans par le public américain et n’a plus aujourd’hui qu’une valeur historique. Son dernier album date d’il y a plus de cinq ans et ne s’était pas bien vendu. Richie appartient à un passé à paillettes et à un univers musical et artistique qui n’existe plus, flamboyant à sa manière mais aussi dépositaire d’une ancienne dignité soul qui mêle le feu et la glace, le savoir-faire et un sens inné de l’exaltation. C’est avec cette part d’histoire qu’il fait bon de reprendre contact l’espace d’un voyage express. Tous les chanteurs devraient finir à Las Vegas. C’est un temple profane, un mausolée, l’équivalent d’un zoo où l’on devrait pouvoir venir visiter les espèces en voie de disparition : les punks, les rockeurs, les autres.
02. Running With The Night
03. Penny Lover
04. Truly
05. Stuck On You
06. Dancing on The Ceiling
07. Three Times A Lady
08. Fancy Dancer
09. Sweet Love
10. Lady (You Bring Me Up)
11. Brick House/ Skin Tight/ Fire
12. Hello
13. Say You, Say Me
14. We Are The World
15. All Night Long (All Night)