On aime bien sûr l’idée que ce nouvel album de Belle and Sebastian démarre par une chanson dérivée du roman ou du film qui en a été tiré de Nick Hornby, Juliet Naked. A l’image du romancier anglais, le groupe écossais a été un temps au sommet de la branchitude, un secret bien gardé qu’on s’échangeait entre adolescents malingres et nostalgiques. Depuis, Nick Hornby est devenu une sorte de version un peu meilleure tout de même de Marc Lévy, alignant les romans mainstream et les bluettes sans intérêt majeur. Belle and Sebastian est rentré dans le rang, moqué par un certain nombre et surtout négligé par à peu près tous les autres.
Dire que c’est totalement injuste serait mentir : Belle and Sebastian n’a même pas réussi à faire correctement « toujours la même chose ». Le style a évolué, plus ouvert, plus léger que jadis. On a perdu peu à peu le contact un peu souffreteux et triste qu’on entretenait avec le groupe pour s’agacer de ce qui faisait hier ses qualités : son aisance pop, l’impression de facilité dégagée par les instrumentations et les vocaux partagés entre voix de femme et voix masculine. Dans la discographie du groupe, Late Developers est pourtant un album à peu près réussi et à l’écoute duquel on peut trouver son compte.
Le premier morceau est chouette et When We Were Very Young est excellent, enlevé, bien écrit, avec des échos de pop des années 80 très bien trouvés et qui glissent formidablement bien sur l’accompagnement de piano. On peut dire ce qu’on veut mais Stuart Murdoch a gardé à peu près intacte la capacité de nous projeter où il l’entend dans notre/son propre passé. Nous sommes contemporains ou presque (il a 54 ans) et ses propositions sont les nôtres. Nos cultures sont proches, nos références pop aussi. Nous avons eu les mêmes parents, les mêmes émois d’adolescence, les mêmes déceptions. Comme nous, il a tendance à radoter et à revenir sans cesse sur ces petites choses qui traînent dans notre mémoire pressée mais Murdoch le fait avec une telle précision et une telle authenticité qu’on mord à l’hameçon à tous les coups.
Pour revenir à la littérature, Late Developers nous renvoie aussi aux romans de l’Américain Nicholson Baker. Les chansons ressemblent à de petites miniatures soignées et traitées avec l’application d’un entomologiste. Will I Tell You A Secret est une jolie bluette qui évoque ce que la pop des années 70 faisait de plus fragile et attendrissant. Et ça continue ainsi en singeant les genres musicaux et en surfant sur des réinterprétations inspirées des modes passées. So In The Moment pousse plus loin qu’assez loin les codes pop, quelque part dans une Angleterre où les Beatles et les Kinks joueraient coude à coude et où les Boo Radleys n’auraient jamais existé. Sur When You’re Not With Me, on frôle la sortie de route avant de se laisser faire et de remuer du bassin face à ce mini tube aussi amusant qu’agaçant. I Dont Know What You See In Me chasse Lawrence et Denim sur leur propre terrain synthpop avec un résultat mitigé. Les Belle and Sebastian ont un peu de mal à susciter l’émotion mais n’ont rien perdu de leur énergie communicative et de leur faste discret quand ils dégainent les cuivres et les flonflons. Le duo Do You Follow est primesautier et pétri d’élégance. L’instrumentation vintage nous tourneboule au point qu’on ne sait plus trop si on est séduits par cette capacité à imposer un univers à contre-temps de l’époque et désuet ou si on commence à sentir le parfum de la faisande et de la redite.
Le point faible de Belle and Sebastian et de Late Developers qui rappelle un peu et par moment les belles heures de If You’re Feeling Sinister et The Boy With The Arab Strap est peut-être de ne plus réussir à dégager une unité de ton et d’intention au fil de l’album qui nous émeuve autant que par le passé. On divague, on butine, on s’amuse et on pleure, mais cela sent un peu trop la théâtralité et le réchauffé. When The Cynics Stare Back From The Wall n’en reste pas moins une petite douceur pleine de grâce et de bienveillance.
Late Developers offre plus de jolis moments que les 2 ou 3 précédents albums réunis. A cet égard, c’est un disque aimable et qui nous mène gentiment et sans heurts vers une réconciliation avec les travaux de Murdoch et les siens. On y joue plus notre vie comme hier mais est-ce que c’est ce qu’on demande encore à la musique aujourd’hui ?
02. Give A Little Time
03. When We Were Very Young
04. Will I Tell You A Secret
05. So In The Moment
06. The Evening Star
07. When You’Re Not With Me
08. I Dont Know What You See In Me
09. Do You Follow
10. When The Cynics Stare Back From The Wall
11. Late Developers