A moins que Matthieu Malon n’ait en réserve As Yellow As My Liver ou As Green As My Snot, ce troisième album en quelques mois signé Laudanum sera le dernier avant quelques temps. Même si on peut espérer que l’accueil réservé à cette trilogie lui ait passé l’envie d’attendre dix ans avant d’y revenir, on s’était bien habitué à ces sorties régulières et on les regrettera. Laudanum aura réussi ce joli coup (plus si fréquent en 2023-24 compte tenu de nos modes de chalandise) que de créer de l’attente et du désir autour de CDs et d’enregistrements originaux. Cette attente et ce désir n’auraient pas eu lieu d’être si la consommation des CDs 1 et 2 n’avait tenu une grosse partie de leur promesse, ce qu’on rappellera tout de même en renvoyant vers les chroniques 1 et 2 qu’on leur a consacrées. Si pas grand monde n’a placé Laudanum au sommet de sa pyramide annuelle c’est parce que cette musique a vocation, dans nos discothèques, à jouer les meilleurs seconds rôles et les outsiders qu’on ressort finalement plus souvent que le haut du panier. Il ne s’est du reste trouvé personne pour soutenir l’idée selon laquelle Malon aurait mieux fait de prendre les 4 ou 5 meilleurs morceaux de chaque disque pour accoucher d’un chef-d’œuvre. Si cela n’a été dit par personne, c’est que tous les titres se justifiaient (ou presque) et que la somme ou la différence des parties n’auraient eu aucune chance de concurrencer leur juxtaposition.
As Blue As My Veins referme donc les Trois Couleurs d’un Laudanum qui s’envisagent toutefois aussi bien ensemble que séparément. Si elle est « encore » plus disparate que les deux précédents, cette couleur bleue a suffisamment de relief et de qualités intrinsèques pour emballer et offrir son lot de surprises. Des trois c’est la collection de chansons qui paradoxalement impressionne plus par sa liberté et son audace, capable de passer de la honky folk burlesque (le Tutèvu en roue libre de la Famille Pelligrini, qui ne fait pas partie de nos préférés) la pop poésie merveilleuse d’un Pete Astor dont on regrette seulement qu’il soit cantonné ici à un seul titre, en passant par l’orientaliste naHar et le plus attendu et délicieusement glacé final the Favourite, attribué à une mystérieuse chanteuse dénommée Vicki qu’on soupçonne d’être une invention digitale.
Blue As My Veins explore un territoire vaste délimité (justement et seulement) par l’expressivité de l’accompagnement proposé par Malon. Débarrassé de notre obsession de trouver un sens et une unité à et dans tout ça, on en finit juste par prendre les morceaux un à un et à considérer COMBIEN ILS SONT BONS. Car si l’album ne se prête pas à la conceptualisation métaphysique, il enchante, il surprend, il transporte et c’est bien ce qu’on lui demande. Beauty of A Shadow, chanté par Marie Delta, à l’entame aurait pu se retrouver sans mal dans une BO de Sofia Coppola. C’est beau, féminin, chic, enlevé et tendrement triste. Que dire de m/i/g/s du formidable Christian Quermalet qu’on tient pour l’un des meilleurs morceaux de la trilogie ? Rien. Écoutez-le. Le refrain est à tomber. Ghosts of The King’s Road est un titre fabuleux. On croit, sur le grain de voix, avoir affaire à un second morceau avec Aidan Moffat…. et puis Pete Astor embarque le morceau loin loin dans la poésie urbaine et fantomatique anglaise, en glissant sur le tapis rythmique, solide et économe, tissé sous lui par Laudanum.
As Blue As My Veins est un pot pourri remarquable, multiglotte, universel. Du souffle d’épuisement, érotique et énigmatique (As Blue As My Veins, le morceau), en passant par la variété déviante d’un Janus Equinox ou encore la chanson chorale décalée à la française (Pelligrini en Nino Philippe Ferrer Katerine 3.0 zéro et chef de bande), le disque respire le plaisir et multiplie les possibilités. « Voici tout ce qu’on peut faire avec ma musique », semble dire l’architecte en chef de Laudanum. « Prenez, buvez, ceci est mon chant. Ceci est mon sang ». Bleu, noble et bouillant comme une veine. Trip électro des 1001 Nuits avec Eliz Murad. Possible. Le vent dans les oreilles. Les orteils dans le sable. Extase synthétique avec Vicki, la voix artificielle. Possible. Futur. Passé. Présent. La musique peut tout. La musique est tout.
Maintenant c’est fini. Ce fut un beau voyage.
02. m/i/g/s (featuring christian quermalet) 05:33
03. ghosts of the King’s Road (featuring pete astor) 03:17
04. as blue as my veins
05. janus equinox (featuring ettr)
06. tutèvu (featuring la famille pellegrini)
07. naHar (featuring eliz murad)
08. the favourite (featuring vicki)
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