On a longtemps hésité à appeler cet Album Idéal de Blur, Blur Is Shite, référence au fameux tee-shirt arboré par le leader de Mogwai, épisode spontané et devenu culte même si l’Écossais le présentait plutôt comme une blague potache dans son livre biographique, avant d’opter par un tout aussi ironique emprunt à Luke Haines et à ses Black Box Recorder, pour un England Made Me, certes déjà utilisé, mais qui nous semble désigner à merveille l’aventure des Londoniens. Luke Haines est lui-même un contempteur avéré du groupe dont l’une des principales caractéristiques est d’être ou adoré (discrètement de nos jours) pour ses qualités musicales, ses mélodies, ou d’être copieusement détesté pour n’être qu’une usine à tubes.
Il y a ainsi deux écoles autour de Blur : ceux qui aiment le groupe populaire et ceux qui reconnaissent au duo Albarn-Coxon une technicité dans la composition pop virtuose, une capacité à aller de l’avant tout en restant un groupe énorme, voire une finesse que l’oreille FM ne distingue pas toujours. Notre position est quelque peu médiane. Oui, Blur est un groupe souvent agaçant, cabotin et qu’on aime détester mais il y a évidemment dans les huit albums officiels du groupe (bientôt neuf avec la sortie annoncée pour juillet de The Ballad of Darren) de quoi composer un album idéal qui a une sacrée allure. On aura pour ce faire renoncé la mort dans l’âme à intégrer à notre tracklist vaguement précieuse quelques singles décisifs mais faut-il le rappeler : l’album idéal n’a à peu près rien à voir avec un album best-of. Pour ça, on peut se tourner d’ailleurs vers le Best-of qui reprend à peu près deux tiers des singles du groupe. Il ne s’agira pas non plus de faire une tracklist alternative à base de faces B ou de raretés pour faire son intéressant en prétendant que le VRAI Blur est ailleurs. Non, Blur est un groupe par essence ACCESSIBLE et POPULAIRE dont l’ADN s’exprime au moins autant dans ses tentatives de faire dissidence ou d’expérimenter que dans ses hits planétaires. C’est cette capacité à faire « en même temps » qui les rend critiquables (toute ressemblance avec un personnage politique français serait pertinente ici) et géniaux.
Notre England Made Me comporte douze titres comme il se doit, pas un de plus, pas un de moins, et se passe presque de commentaires. C’est l’album de Blur qu’on garderait s’il ne devait en rester qu’un, celui qui les place dans le droit fil de The Kinks, leur modèle absolu et revendiqué du bout des lèvres en termes de versatilité pop, de grands écarts et de virtuosité joueuse. Tantôt populaire, tantôt pointus, tantôt ultra british et d’autres fois tournés vers l’Amérique, le groupe de Ray Davies est évidemment le modèle d’un Albarn qui ne tient pas en place et le plus petite dénominateur commun d’un groupe qui n’a souvent tenu qu’à un fil.
2. Bad Day (1990)
Cette chanson sonne comme une chanson de cette époque. Composée probablement autour de 1989, elle rattache Blur aux musiques de Manchester qui dominaient le pays à ce moment précis. Les paroles sont génialement, indécises au point qu’on ne les a jamais vraiment comprises. Albarn parle-t-il d’une fille qui lui ment ? De ses propres hésitations. Les guitares sont classiques, outrageusement classiques mais on sent déjà s’organiser au centre du jeu comme chez les Stone Roses la volonté d' »impacter » le chaland par un motif répété et un refrain incisif.
2. Ernold Same (1995)
Évidemment on pense ici à Syd Barrett et pas seulement pour les petits zozios du début. Sur ce titre mésestimé de The Great Escape, toute l’englishness de Blur semble contenue, précieuse, élégante. On se croirait chez Divine Comedy mais dans une attitude pleine de légèreté et de détachement. Avec Blur, tout semble toujours fait au premier degré, c’est l’une de leurs caractéristiques.
3. Coffee and TV (1999)
Il faut des tubes pour faire un monde. C’est mignon, sentimental. Irrésistible. La musique de Blur renvoie à la vie quotidienne et à son enchantement. Prendre un café et mater la télé devient le sommet de l’expérience amoureuse. Parfait pour écouter en famille et tellement vrai. Blur au plus consensuel et au plus simple. On notera que par rapport à d’autres tubes du groupe, celui-ci contrôle son tempo et ne verse jamais dans la facilité.
4. Woodpigeon Song (version longue) (1997)
Cette version alternative (la seule qu’on utilisera ici) de Woodpigeon Song, chanson qui figure quasi coupée en deux sur l’album Blur de 1997, est pour nous notre chanson préférée de Blur de tous les temps. Pop et en même temps bruitiste, presque expérimentale, elle lorgne du côté des Beatles période album blanc avec une pointe d’influence Velvétienne (Sister Ray, ma soeur). Qu’est-ce qui leur a pris de la massacrer pour le disque ? Ça reste un mystère.
5. Stereotypes (1995)
Retour à l’orgue/synthé et aux choses sérieuses : non Blur n’est pas un groupe pour les types à lunettes et les experts en rock indé. C’est une machine à cartonner et à faire danser les adolescents. Stereotypes fait ce que fait Jarvis Cocker au même moment en un peu moins bien sans doute mais avec la même générosité et le même regard exotique porté sur le quotidien des anglais :
The suburbs they are dreaming
They’re a twinkle in her eye She’s been feeling frisky Since her husband said goodbye She wears a low cut T-shirt runs a little B&B She’s most accommodating when she’s in her lingerieCocker joue I Spy et fait le pervers en se prenant pour Scott Walker. Damon Albarn est juste pote avec Ray Davies et sert la soupe pour les ménages comme s’il passait ses vacances dans un mobil-home avec Jimmy Saville, ce chic type. Est-ce que c’est mauvais ? Il ne faut pas l’exclure. Un tube doit toujours être un poil frustrant ou insatisfaisant, sinon on l’oublie ou on ne fait que le retenir.
6. Girls and Boys (1994)
Qui a peur de Girls and Boys ? Pas nous. Un tube où il y a une phrase en allemand ne saurait pas décevoir. Girls and Boys résume Blur à la perfection : la musique d’Albarn vous hantera jusqu’à la fin de vos jours, même si vous avez 1001 raisons de ne pas l’aimer. Tant pis pour vous. Faire 4 minutes et 19 secondes avec ça, vous imaginez ?
7. Villa Rosie (1993)
Plus loin plus profond. La culture pub anglaise s’exprime ici dans l’évocation de ce lieu à boire de fantaisie où l’on vient picoler après une semaine de boulot. Le morceau est un peu naze mais tellement blurien qu’on ne pouvait pas laisser de côté. Le groupe est-il une imposture ? Lawrence a rêvé de faire des tubes avec des mélodies de cette nature toute sa vie… sans jamais y arriver tout à fait. En 1993, Albarn et Coxon font ça les yeux fermés et presque sans le faire exprès. On aime les guitares rock qui viennent donner une sorte de street crédibilité au produit. Blur is Shite, c’est pour ça qu’on les aime.
8. Eine Kleine Lift Musik
C’est pas Oasis qui mettrait un titre… instrumental… en allemand. Rien que pour ça, il faut réhabiliter Eine Kleine Lift Musik, titre perdu et baléarique (façon piscine) de The Great Escape, parfait pour assurer une transition sur notre album imaginaire. Oui, Blur est un grand groupe bourgeois et ça tombe bien car l’Angleterre n’a jamais fait la révolution. Toutes les têtes sont encore solidement fixées au corps et cela s’entend ici. Vous avez déjà été bourgeois pendant 900 ans. On s’ennuie, on s’ennuie, on s’ennuie.
9. This Is A Low (1994)
On n’a jamais réussi à prendre au sérieux les chansons tristes ou émouvantes de Blur, si bien qu’on les considère comme le seul bon groupe joyeux du monde. Lorsqu’ils chantent This Is A Low, on a un peu envie de leur dire d’aller se faire cuire un Pete Doherty ailleurs et puis d’aller changer notre protège-slip… mais il faut de telles chansons, amples et un peu tristes sur la solitude pour donner une profondeur à notre album idéal. Alors, on a retenu This Is A Low.
10. Moroccan Peoples Revolutionary Bowls (2003)
Pourquoi pas Moroccan Peoples Revolutionary Bowls ? On ne voulait pas passer sous silence l’album Think Tank et il fallait montrer à quel point Blur était aussi une équipe, un groupe capable d’évoluer à tout moment dans toutes les directions. On ne parle même pas de la carrière solo d’Albarn. Dans un studio, ces types là sont prêts à tout entendre et c’est aussi ce qui fait leur richesse. Parfois ça marche, parfois non. Sur ce morceau malaimé, c’est juste plein d’énergie, d’espace, d’amitié, une sorte de gros morceau de bravoure sans être une grande chanson.
11. Waterloo Sunset (avec Ray Davies des Kinks)
On est pas certains que les Blur aient officiellement repris les Kinks. Il y a des chansons des Who et d’autres mais peut-être pas des Kinks sur la discographie officielle. C’est pourtant une évidence. Blur a écrit Waterloo Sunset, la plus grande chanson de Blur, en 1967. Ils ne l’ont chantée qu’une fois ici, avec un type qui leur a servi, après un voyage dans le temps, de prête-nom pour cartonner dans les 60s.
12. There is no other way (1991)
Il faut toujours finir par le début et remonter à la source. Pour beaucoup, There Is No Other Way est la chanson par laquelle Blur aurait pu aspirer à être le plus grand rock indé de sa génération. Mieux que Oasis ? Mieux que les Mondays ? Mieux que James ? Mieux que tout le monde ? There is no other way, et son clip incroyable, montrent au contraire pourquoi Blur n’a pas choisi cette option. Dès le début, ils savaient qu’ils pouvaient être plus gros, plus forts et dépasser ce simple cadre des guitares qui se prennent au sérieux, avaler tous les autres pour inventer le futur synthétique, fédérateur de TOUTE la pop anglaise.
Crédit photo : Wikimedia
Lire aussi :
Blur / The Ballad of Darren
En 2020, Blur fêtait (ou pas) les 25 ans de The Great Escape
Girls & Boys : Blur squatte l’été 94
Blur à nouveau, Lonesome Street en audio
Sing
There’s No Other Way
Oily Water
Miss America
The Debt Collector
Sterotypes
Country Sad Ballad Man
Strange News from Another Star
1992
Trimm Trabb
Battery in your Leg
Caravan
(trop dur de limiter à 12…)