Les premiers morceaux annonçaient quelque chose de vraiment méchant, mais on ne s’attendait pas à ce que cela prenne cette dimension. Particule élémentaire, indomptable et radicale, de la scène rap toulousaine et fondateur du label CMF (pour Crazy MotherFucker), Stick a une importance sur la scène locale inversement proportionnelle à sa renommée en solo. Son deuxième album, successeur près de quatre ans après d’un premier essai (Un Mc De Plus) passé injustement inaperçu devrait le replacer sur la carte du rap français, au centre d’une école hardcore et assez trash où les rimes pèsent lourd et ne font pas de quartier. Glossolalie est l’album le plus puissant et dangereusement schizophrène qu’il nous ait été donné d’écouter depuis très longtemps.
Servi par des beats d’une variété et d’une classe insolente, menés entre autres par les amis Al Tarba ou Swed, Stick apporte à cette Glossolalie une science des mots patinée depuis vingt ans dans un crachoir à bile où les formules font mouche et où la salive, à force d’être ravalée mille fois, a le mordant de l’acide. Glossolalie est un album hyper-violent, saignant et jouissivement insolent mais aussi un album politique et intelligent qui dresse un état sans concession de l’air du temps et de l’état des ondes. L’ouverture est classique : radiographie d’un rap en coma dépassé et expression d’amertume d’un rappeur à la dérive. Stick se lamente sur sa situation, son absence de fric et de perspectives. Le titre est glaçant, sec et sévère, un peu complaisant : « Je suis déjà mort, je ne fais que des apparitions », et s’interrompt sur la sonnerie d’un téléphone. Un spectre est à l’autre bout qu’on sent grommeler dans une langue satanique tandis que Stick lui commande d’arrêter sa plaisanterie. Cette séquence est géniale et projette immédiatement l’album dans un climat fantastique dont on ne sortira plus. On passe d’un rap traditionnel à un rap habité, possédé et monté sur ressorts. Le Stick de Glossolalie n’admet aucune limite. Son flow est si rapide qu’il tutoie l’infini (l’hypervitesse sidérante de Dominus). Ses formules ne laissent pas l’herbe repousser. C’est Attila le Hun, la cavalerie et la magie noire des steppes qui déferlent sur nous.
Dominus enclenche le festival. « Appréciez ma folie douce. Dominus dominus. Montre-moi ta jolie fouf’. » Quelque chose d’invraisemblable se passe, mêlant déraison, sexe moite et l’univers des films gore. Stick accède à une sorte d’état second d’hyperlucidité et de radicalité extrême. Quelques MCs de moins est LE morceau du disque, comique et tragique à la fois. Le rappeur convoque des références culturelles pop pour passer au crible le monde du rap français. Il exécute littéralement Jul, MHD et quelques autres, sur un rythme martial irrésistible. Le titre est une tuerie, parfait jusqu’au bout de ses 6 minutes. Passé ce sommet, Stick revient sur terre et mène sa barque entre évocation sensible de son itinéraire et bouffées de haine contre l’adversité. Mémoires d’un sale from dévoile sa vie depuis les HLM de Millau jusqu’aux violences conjugales subies par sa mère. Le titre est une chronique sociale sans filet qui surprend par son absence de retenue et sa quasi indécence dans l’évocation du roman familial. Après cette séquence intime, Stick redevient le fêlé psychotique et assassin dont les colères constituent le fil rouge de l’album. Les aller-retour entre un rap trash et des évocations presque bucoliques installent un malaise et créent une tension psychotique qui maintient l’album sur le fil. La dernière maison sur la gauche est terrible : « Les jeunes qui m’écoutent ont été élevés par des junkies. Je fais ma zik comme je l’entends. J’enfonce ma bite pleine de sang dans la gorge de Joyce Jonathan. Je suis adulé des allumés. » Que dire après ça ?
La seconde moitié de l’album alterne entre les deux pôles, continuant de nous écarteler entre folie douce et réflexion, simili-normalité et horreur divergente. Les titres où Stick raconte sa vie et décrit la réalité sont sublimes et renouent avec un rap social qu’on n’a pas entendu à ce niveau depuis les premiers IAM. Mention spéciale pour les égarés un titre magnifique soutenu par Sendo et DJ Nix’on. Dégoupiller, parodie de trap azimuté, est un monument de défonce collective. Glossolalie est un album dingue, détraqué et qui crée chez l’auditeur un état de dérangement permanent. Le beat de 666 euros est bancal et met mal à l’aise sur sa répétition. Le MC se change en un affreux agent immobilier qu’on imagine se changer en serial-killer à ses heures. Il n’y a rien à jeter ici : exercice de style horrorcore sur l’amusant Slasher Muzik, romance fracassée sur le sublime et douloureux A La Folie. Stick est au sommet de son art dégénéré, évoluant dans un environnement divergent où les personnages de Donald Ray Pollock feraient figure de types recommandables. L’amour et la violence se mêlent, l’espoir et la colère liée au renoncement s’opposent sans cesse. Le White trash français tient son héraut.
« J’arrive plus à faire taire les voix qui sont dans ma tête. Dommage », chante-t-il sur Psychoses. Ultra référencé et intelligent, le morceau donne peu à peu les clés d’un album halluciné et fascinant, nourri à la culture pop mais aussi aux grands classiques (Hitchcock ici, mais on pourrait citer Kubrick et quelques autres). On peut se demander d’où viennent toutes ces fêlures et s’il y a quelque part une chance de rédemption. C’est ce que laisse espérer Exorcisme, un titre rap et rock monstrueux qui s’étire sur 10 minutes électriques exceptionnelles et clôt cet album incroyable autour de cette même tension entre une histoire heurtée et un devenir ravagé. « Le p’tit Stick se la joue rebelle. Sa mère vit à la campagne. » Punk, jusqu’au bout des canines, Stick ne laisse aucune chance au bonheur. On pense aux fous furieux du récent Leatherface (préquel de la série des Vendredi 13). A ce degré de dinguerie, on ne peut que prendre ses jambes à son cou et essayer de se pendre avec.
02. Dominus Dominus Dominus
03. Quelques MCs de moins
04. Mémoires d’un sale from
05. La dernière maison sur la gauche
06. Interlude 3
07. Les égarés feat Sendo et DJ Nix’on
08. Dégoupiller
09. 666 euros
10. Slasher Muzik feat Pedro
11. Ghostwriter feat Goune et Bazoo
12. Interlude 4
13. A la folie
14. Psychoses
15. Exorcisme feat Marylou
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