Le premier morceau s’appelle Kartoffelstampf qui, si on se souvient bien de nos cours d’allemand, signifie « purée de pommes de terre ». On a fait plus glamour comme entrée en matière mais pour un groupe qui officie dans le kraut-rock, de Berlin, et à dominante instrumentale, disons que la référence n’est pas si incongrue. Le cinquième album de Camera est très bon. Michael Drummer qui est à Camera ce que Mark E. Smith était à The Fall a, une nouvelle fois, fait tourner l’équipe puisque Tim Brockmann, l’un des fondateurs du groupe, a été remercié et remplacé, ainsi que l’un des autres types qui tenaient jusqu’ici les claviers. A la place, Drummer a amené un gars au synthé, Tim Schroeder, et un guitariste. Ces renforts sont probablement à l’origine d’un son moins froid et plus vif, mais aussi d’une orientation psychédélique et space rock plus marquée. Cela s’entend dès l’entame qui est carrément planante et rentre dedans, émaillée de sons de l’espace bizarroïdes, toujours soutenue par une rythmique martelée et cadencée très structurante.
Les morceaux sont puissants, complexes, évoluant entre kraut-rock traditionnel et une forme de jazz rock dévoyé et finalement assez peu « genré », à l’image d’un Alar Alar qu’on est totalement infoutu de caractériser. Harmonite a de faux airs orientaux et lorsqu’un proto-chant résonne sur le métallique Schwarmf, on se demande un peu où l’on habite. La musique de Camera intrigue autant qu’elle désarçonne, rappelant parfois les contre-pied savants d’un Can mais avec des résonances qui semblent venir plus du rock chevelu des années 80 que d’un passé sous LSD des 70s. Sur Uberall Teilchen – Teilchen Uberall (des particules partout?), Drummer utilise de vieux enregistrements pour habiller une cavalcade erratique qu’on imagine faire écho à la soupe primitive de particules dont est venu le monde connu. Le morceau titre, Prosthuman/Apptime émarge à près de huit minutes et constitue le coeur d’un programme lumineux et labyrinthique où Camera tente de dénicher les origines de la vie. Le disque s’énonce comme une carte dont la légende serait disparue mais qui laisserait apparaitre quelques formes indistinctes, des courbes de niveaux, qu’on escalade et dévale sans savoir trop où elles mènent.
Le résultat final, symbolisé par l’excellent Chords4 – Kurz vor, est suffisamment agréable à écouter pour qu’on ait envie d’y retourner et de percer les secrets d’un disque aussi tortueux qu’hermétique. Prosthuman renvoie à une vision du futur… formulée il y a vingt ou trente ans. Sa construction en double hélice fait penser à un héritage de la science-fiction des années 70, foisonnante, passionnante mais en même temps un peu datée et kitsch. Le disque est une bénédiction, mais aussi un bon exemple de recréation rétro-futuriste. On voit de ces trucs des fois.