Après un retour somptueux il y a deux ans et quelques, Dandelion Sauce of The Ancients, les Terminal Cheesecake s’offrent un nouvel album presque aussi puissant et réussi que le précédent. On n’a pas compris grand-chose à cette histoire de Lièvre, si ce n’est que peut-être il s’agit ainsi de signaler que tout ira très vite (7 titres) et qu’on a dépassé la Tortue de la fable, il y a plusieurs décennies déjà. On peut prendre de la drogue et garder la forme. On peut s’être mis la tête par-dessus… la tête pendant trente ans, et jouer de la guitare comme si sa vie en dépendait. C’est toute l’histoire du Terminal Cheesecake, le plus grand groupe de noisy drone psychédélique et de psyché pop de l’histoire du Royaume.
Pour le profane ou celui qui découvre, il y a toujours une vraie surprise à comprendre de quoi il s’agit. Wipey’s Revenge, l’entrée en matière et suite supposée du Mr Wipey’s Day Trip To Guilford Haven de 2016, ne facilite pas les présentations puisqu’il s’agit peut-être du morceau le plus rugueux, le plus hard rock et noisy du lot. Neil Francis assure le chant à l’arrière-plan, tandis que la rythmique tente de nous assommer et que les guitares vrombissent comme une légion de criquets exterminateurs. La production est perverse, salace, suffisamment nette pour qu’on soit pris au piège de la mélodie mais profuse et méchante au sens où elle tente clairement de dérégler nos sens. La dernière minute est géniale, relâchant une nappe de guitares incendiaire qui nous pousse revigoré et intact vers la fin de ces sept minutes d’anthologie.
Il y a quelque chose de jouissif dans la musique du Terminal Cheesecake, quelque chose d’inquiétant et de parfois menaçant aussi mais que le déluge sonique vient comme éteindre ou apaiser. South Sea Wall démarre comme une production de 69 dans un univers crépusculaire hanté par des voix et des enregistrements qu’on suppose captés ailleurs. Le propos est indistinct tandis qu’on déroule le fil tranquille et suburbain du morceau. Il faut attendre huit autres minutes de plaine drone pour atteindre un bout qui n’en est pas un et n’aura rien d’autre à révéler que la magie éclatante du Golden Hare qui suit. Le sacre du lièvre ressemble à l’établissement d’une nouvelle mythologie pour les freaks et les paumés dans notre genre où un lièvre doré ferait figure de nouvelle idole. Rien de bien gracieux ne nous attend ici néanmoins. Voilà que se dresse à nouveau un mur de son plus haut que les tours de Notre Dame. Golden Hare est joliment répétitif, martelé à l’enclume et au marteau. Il y a une intransigeance dans ce Sacre du Lièvre qui le rend moins aimable que le Dandelion précédent. Le groupe a soustrait de sa musique tout ce qui dépassait. L’heure est grave au point qu’on prend l’apparition d’un clavier synthé sur Saddle Shower comme si l’on entrait soudain dans un temple. Le morceau prend une dimension exceptionnelle sur sa seconde moitié. On sent la tension, les menaces de mort mais sans qu’aucune violence ou volonté d’agression ne transparaisse. Le Terminal Cheesecake explore notre intériorité avec les moyens à sa disposition : sa musique rebondit contre les bords et nous donne accès à des zones de notre cerveau qu’on ignorait. Si on goûte un peu moins le brouillon de bœuf qu’est Bull of The Woods (morceau qui porte bien son titre), on criera sans hésiter au chef d’œuvre face à V.D.K Neck.
Mogwai peut aller se rhabiller. N’enlevez surtout pas vos bouchons d’oreille. Terminal Cheesecake met un pied dans la zone fantôme et en revient avec une armée de démons électriques. C’est pour cette raison toute simple qu’on vient ici : pour regarder le déluge de l’époque dans le blanc des yeux, pour se confronter à cette rage, à cet énervement complètement maîtrisé et digéré par l’homme. Le temps des assassins (The Humming Assassin II) a sonné et c’est le temps de la dévastation et de l’écroulement des Nations. On croit un instant voir se dérouler devant nos oreilles une sorte de préfiguration de l’apocalypse écologique. Est-ce le cas ? Il faudrait capter les quelques mots hurlés par le chanteur pour ça ou apprendre à parler la langue des guitares. Il n’y a que le drame qui compte. D’où qu’il vienne et quoi qu’il exprime. La sensation d’être pris au piège comme un lièvre, un lapin entre les phares d’une voiture qui fonce droit sur nous.
Le Terminal Cheesecake fait penser dans ses arrangements aux aventures spatiales d’un Albert Ayler. On navigue dans cette galaxie sacrée et folle où les explorations se font à hauteur d’homme. On est parfois plaqué au sol par la force et la gravité du décollage, d’autres fois, soulevés comme une feuille sacrée par le souffle du vent.
Le sacre du lièvre est un album rare et encore une fois indispensable pour ceux qui oseront s’y frotter. Le primitivisme est une exigence. Tous les moyens de fuir sont bons à prendre.