Dans un monde normal, Death Bells aurait parcouru le monde pour défendre son formidable album, New Signs of Life (2020), le premier pour le compte de Dais Records après des débuts chez Funeral Party Records, l’un faisant office de fruitière de talents que l’autre s’attache à débusquer. Mais cela n’a pas tourné comme prévu – d’ailleurs tout s’est arrêté de tourner. Eux, les autres artistes et la planète toute entière.
Autour du duo australien formé par Will Canning et Remy Veselis qui ont élu domicile depuis quelques années à Los Angeles, le line-up mobilise des musiciens œuvrant dans divers projets : Cortland Gibson (Dock Hellis), Bre Morell (Temple Of Angells), Colin Knight (Object of Affection), Spencer Wiles et à l’occasion Brian Vega (membre de l’un des meilleurs groupes post-punk du moment, Fearing).
A défaut de pouvoir s’exporter à cause de la pandémie, tout ce petit monde-là s’est retrouvé au beau milieu du désert pour interpréter cinq chansons extraites de leur second album. Les coyotes ont eu bien de la chance ce jour-là. Fort heureusement, la performance a été captée en live et Dais Records l’a enregistrée sur cassette (disponible en édition limitée évidemment, parce que, « quand on est dans une (bonne) niche, on y reste » selon l’un des préceptes les plus agaçants en vigueur dans le nouveau monde dématérialisé).
Ici donc, la prestation saisie sur le vif ne doit rien à la mégalopole indienne, ni même aux bandes-sons de Bollywood. Non, le groupe est monté dans son van, direction le Sud-Est de LA, là où (sur)vit une communauté hippie à Bombay Beach au bord de la Salton Sea. Mais les 300 habitants du patelin, des freaks isolés de tout qui ont colonisé cet ancien eldorado du tourisme de masse abandonné à cause de la pollution de l’eau du lac, n’étaient pas conviés à profiter de ce « best-of » joué en conditions « live ».
C’est dans ces conditions surréalistes que le sextette enchaine les 3 premiers morceaux de New Signs of Life, joués dans le même ordre. Heavenly Bodies fait immanquablement penser à Interpol, période Turn On The Bright Lights (2002). Si sur l’album on entend à peine les chœurs féminins, dans la captation en direct, ils prennent une tout autre dimension et offrent un contrepoint à la voix de stentor du front-man. La façon d’haranguer de celui-ci est d’ailleurs la marque de fabrique du groupe, comme l’atteste Two Thousand & Twenty. Death Bells a bande volontiers les muscles, mais sans jamais s’emporter. Plutôt vrombir que mourir dans le fracas. Sur l’album, la production s’applique à bien mettre en valeur la raideur des compositions. Mais étonnamment, quand la plupart des groupes force le trait en concert, eux, modèrent le ton sur Live From Bombay. La chanson-titre est bien plus apaisée, plus mélancolique, et les claviers gagnent en épaisseur. Même en une prise, c’est un récital sans fioriture, implacable.
Mais la grande affaire de ce EP, comme de l’album, c’est certainement Alison. Avec une ligne de synthétiseur qui sous-tend la mélodie en sonnant comme un saxophone, d’innombrables accidents rythmiques qui rendent instable la mélodie, le chant étranglé qui se débat avec une ligne de basse binaire, Death Bells signe une grande chanson d’amour contrarié – les plus belles et les plus touchantes. En conclusion du live (comme de l’album), Shot Down (Falling) rappelle The National quand on entendait encore la colère et la rage, même au milieu de l’accalmie.
Il faut bien reconnaitre que Live From Bombay s’adresse en premier lieu aux fans qui n’auraient pas encore eu la chance d’entendre le groupe sur scène. On reste même sur notre faim car on aurait bien aimé qu’ils refassent aussi leur single Echoes dans de telles conditions. Peut-être le groupe souhaitait-il interpréter d’une traite l’intégralité de l’album au milieu du désert, mais qu’ils ont du couper à la moitié de l’effort pour respecter le couvre-feu ? Même si le fond (un demi album manquant de valeur ajoutée) comme la forme suscitent plus de frustration que de satisfaction, on ne saurait que conseiller de s’intéresser à ces jeunes gens qui combinent leurs influences new wave et post-punk en se les appropriant avec verve et incarnation.