Toujours pas en 2017 que le brestois Joseph Bertrand écrira des chansons dédiées à la joie de vivre. Car dans ce « premier » album de Centredumonde (après un superbe EP, paru l’année dernière), les nuages sont noirs, le Finistère est sinistre, la danse s’affirme morose, et même rêver oblige dorénavant à puiser dans l’inavouable. Ce « garçon solitaire à l’humour délétère » pratique l’art du spleen à un niveau étendard. Sauf que le point de vue adopté est neuf, malin, identificatoire. Joseph Bertrand chante l’atermoiement avec une certaine distance, comme s’il était le propre spectateur de sa douce mélancolie. Rêvons Plus Sombre, sur cet aspect, est un grand disque de comédie. Le spleen n’est pas celui d’un adolescent qui jouerait à se faire mal, mais d’un adulte qui, non sans une certaine amertume, en viendrait à rire de son inclinaison au malheur. On pense parfois à Daniel Darc, lui-même n’ayant jamais été avare en formules ironiques afin de galéjer sa perception du défaitisme. Il en va ainsi des mômes éternels : quitte à vivre avec le poids du monde sur le dos, mieux vaut en rire que de verser dans l’auto-apitoiement.
D’où, chez Joseph Bertrand, une dramaturgie du tragique (les magnifiques Femme de Militaire et The Chappaquiddick Incident, qui adoptent un regard féminin sur la fausse faiblesse de l’homme). Oui : ce premier album de Centredumonde est très distancié sur lui-même, ce qui en fait sa force, sa profonde originalité. La tonalité vocale appuie le refus des méandres : cold wave, neutre, le chant, et donc les mots, n’insistent jamais sur un quelconque message. « C’est ainsi », « ainsi soit-il », semble nous dire Joseph. Sans douleur ni amertume. Mais avec lucidité.
Un chant glacial, parfois robotique (touchant comme du Taxi Girl), qui permet à Rêvons Plus Sombre d’outrepasser le cadre de la chanson française. Mine de rien, Joseph Bertrand a trouvé un style, une façon d’appartenir au monde tout en se positionnant à contre-courant de toutes les actuelles mouvances musicales : cette voix, finalement assez 80’s, s’accorde à des instrumentations ni vraiment pop, ni trop after punk, un peu rock, pas du tout déclamatoire. Voilà qui manque beaucoup dans l’actuelle scène française : un chanteur / parolier qui s’invente un univers, avec des règles n’appartenant qu’à lui, entre l’expérience intime et le regard brechtien, la conscience des courants musicaux et le refus de se lover dans un quelconque abécédaire. Victoire de la musique, donc…