Dans notre obsession brit-pop (avec laquelle on vit et survit depuis 25 ans maintenant, soit l’âge du premier album du groupe de Norwich) The Charlatans doit être l’un des seuls groupes encore en activité qui n’a jamais déclenché chez nous un sentiment de nécessité, ni de véritable passion.
Tim Burgess a pourtant toujours représenté une certaine idée du cool et de la pop. L’homme est attachant et le parcours du groupe n’a rien de déshonorant, si l’on prend en compte le fait que le groupe aura connu le succès puis un relatif anonymat, avant de revenir par la petite porte et de se refaire une belle santé, comme le prouve son nouvel album, Modern Nature. Tim Burgess, qu’on a apprécié aussi en solo à deux reprises (mais pas véritablement aimé) n’a jamais eu la radicalité d’un Shaun Ryder, l’énergie vitale et rebelle d’un Bobby Gillespie, le charisme de Ian Brown, la finesse mélodique d’un Noel Gallagher ou l’ampleur poétique d’un Jarvis Cocker. Il n’aura jamais eu non plus ce supplément d’âme (et de coupe de cheveux, encore que…) qu’on conférait aux Inspiral Carpets, eux que le succès avait soigneusement évité et qu’on pouvait encore garder au secret.
Il est possible qu’on se soit montré injuste envers le groupe, à moins que celui-ci ne se soit paradoxalement modifié au contact de ses éclipses et des épreuves traversées ces dernières années. Modern Nature est un album gai et joyeux, paradoxalement né en réaction au drame qu’a été la disparition suite à un cancer du cerveau du batteur Jon Brookes. Burgess a enfermé ceux qui restaient en studio avec le but de continuer à vivre, de retrouver la joie de jouer ensemble et de célébrer l’air du temps. Pour remplacer le disparu, le chanteur leader a utilisé son carnet d’adresses et enrôlé pour la frappe des jokers de luxe venus de The Verve, New Order ou Factory Floor et globalement connus pour leur précision et leur absence de sueur au front. Avec ces gars aux baguettes, et un orgue Hammond remis au premier plan, le son de The Charlatans fleure bon le psychédélisme des années 90 et la pop désuète mais inspire une immédiate sympathie. La musique garde une délicate lourdeur en basse, très Madchester dans l’esprit, mais résiduelle et aussi pétrie de soleil, de lumière et de sourires portés. On pense assez vite à The Stone Roses avec des morceaux up tempo aux titres, paroles et mélodies engageants comme Let the Good Times Never Be Ending et ses harmonies vocales angéliques ou Come Home Baby, mais aussi à des groupes plus légers et follement insouciants comme The Thrills.
Il n’est pas certain qu’on ait connu jamais The Charlatans à ce degré de super-superficialité pop (un compliment) et avec cette capacité à élever le débat. Les harmonies pétillent et la voix de Burgess est tout simplement divine et sans âge. On se demande comment le chanteur a réussi à traverser les décennies (et les excès) sans que ses cordes vocales n’en pâtissent et ne se patinent. Il fait un boulot formidable sur le magnifique Keep Enough, notre morceau préféré et aussi le plus triste. Car un album radieux n’est jamais rien sans la peine et la mélancolie qui l’accompagnent. Modern Nature est à cet égard est un excellent compromis d’émotion avec quelques belles balades et plaintes qui donnent de la profondeur aux morceaux les plus légers. Emilie résume à sa manière la ligne claire empruntée par le groupe avec son titre féminin et son mélange sucré salé qui évoque pêle-mêle Simon And Garfunkel, The Beatles et la surf music des années 60. Ce morceau est d’une telle perfection qu’on a l’impression de l’avoir déjà entendu mille fois avant. Et on pourrait en dire autant de Talking in Tones. A y réfléchir, c’est probablement cette pureté d’intention et d’exécution qui empêche le songwriting de Tim Burgess d’en imposer. So Oh démarre comme un morceau des Pet Shop Boys et s’éteint comme la bande son d’une jeunesse éternelle et qu’on ne voit pas passer.
Modern Nature est une réussite incontestable et une splendide collection de chansons qu’on s’échangera sûrement en 2034 dans la cour des écoles de pop music… si tant est que quelqu’un se souvienne qu’il a jamais existé.