« Why do people have to live outside In tents, under bridges ? Living with nothing and horribly suffering. Why ? Why do people have to live outside ? We have the resources. We have the means. Why ? » Chat Pile signe avec le tonitruant Why l’une des plus belles colères de la rentrée. Le coup de gueule est intense, bruitiste, sans appel, comme si Hulk et Jean-Luc Mélenchon avaient décidé d’enregistrer un single avec Bob Mould.
On ne sait pas si ce sont les vacances surchauffées et cramées ou la perspective de retrouver la famille, le boulot et la routine mais on a reçu 5/5 ce premier album du quatuor américain d’Oklahoma City en plein cœur de l’été, comme s’il allait s’imposer comme notre bouée de sauvetage ou notre lance-flammes social. Emmené par Raygun Busch, son chanteur exceptionnel, et un trio de musiciens chauffés à blanc et techniquement irréprochables, Luther Manhole (guitare), Stin (basse) et Cap’n’Ron (batterie), Chat Pile propose la musique metal, post-industrielle la plus sinistre et la plus enthousiasmante depuis Throbbing Gristle.
On n’est pas d’immenses fans d’ordinaire des cracheurs d’électricité et de décibels. On a lâché nos disques de Jesus Lizard lors de notre premier déménagement et on y est jamais revenu. Un tort sûrement, tant on prend de plaisir à glisser et à se heurter aux saillies du quatuor. Le disque est terrifiant de bout en bout, dépeignant une Amérique et un Occident, sinistré et dans une situation horrible. Tout est foutu, pollué, invivable, incompréhensible. Chat Pile écrit la bande son d’un monde qui s’écroule et qu’on regarde s’effondrer façon Snake Plissken le sourire aux lèvres. Les codes du metal sont maîtrisés à la perfection sur un Slaughterhouse habité, mais le groupe ne fait pas que ça, offrant sur ses approches une variété, vocale, mélodique, et instrumentale qui le propulse d’emblée parmi les structures les plus intéressantes d’un rock à guitares post-fin du monde qui débute. Le titre Pamela réussit en deux minutes à faire la nique à n’importe quel titre ambitieux et branchouze des Fontaines D.C. Le son de la colère et de la noirceur est là et pas ailleurs. Le spoken word de Raygun Busch est remarquable et s’abîme dans une folie furieuse qui fout réellement la trouille :
So, I stare at the lake /
Biding my time /
Waiting to die /
And everything that I touch is dead /
Everything that I wanted is gone /
Nothing before me now but pain /
Nothing before me but pain.
Il faut oser chanter ça en regardant l’amour en face. Chat Pile démarre Wicked Puppet Dance comme s’il faisait une reprise de Joy Division avant de laisser les Pixies, quinze mètres derrière, sur cent mètres. On pense à Whipping Boy sur Anywhere, pour les voix graves et la manière de varier le tempo. Pour un premier disque, God’s Country renvoie une impression de maîtrise et de puissance extraordinaires. Tropical Beaches Inc. est un déluge de testotérone débile, pendant lequel un redneck s’échine à lever de la fonte à la salle de gym. « And get the fuck up« , se termine le morceau. C’est tout ce qu’on aura : de la sueur, du muscle et des emmerdes à la pelle. Il ne faut pas écouter ce disque pour aller mieux ou s’aider à affronter le réel. On peut au choix braquer une épicerie et une banque sur The Mask, ou massacrer un fumier dans son sommeil sur le flippant et a capella I Dont Care If I Burn.
Il y a dans la musique de Chat Pile une radicalité qu’on avait pas croisé depuis la découverte de Nirvana ET des Palace Brothers, une forme d’américanité déchirée et suicidaire, qui fascine et terrifie à la fois. Le final est la plus grande, longue, morbide, sinistre et belle chanson qu’on a entendue depuis le Frankie Teardrop de Suicide :
I’m trying to kill myself /
If you don’t mind / That’s why I locked the door/ I just need some privacy/
If you don’t mind/ I’m gonna Open the window now / And jump out / Face first/
I know we’re not that high / But if I do it right I can break my neck/
I don’t wanna be alive/ I don’t wanna be alive /
Grimace
Bonne rentrée à toutes et tous. Ce disque est un cauchemar.