Future Islands / People Who Aren’t There Anymore
[4AD]

8 Note de l'auteur
8

Future Islands - People Who Aren't There AnymoreIl y a des groupes qui font leur carrière sur un seul morceau. C’est le cas de The Wedding Present (groupe qui est le seul à revendiquer cette vraie fausse idée en floquant des tee-shirts « Wedding… toutes les chansons se ressemblent ») ou de Dinosaur Jr. Cela ne veut pas dire que leurs albums ne sont pas tous différents et que la déclinaison de cette chanson (souvent géniale…., en ce qui concerne les groupes qu’on vient de mentionner) lasse forcément ou ennuie à la longue. On peut trouver chaque disque du Wedding ou de Jay Mascis passionnant… même s’il est plus ou moins rigoureusement identique aux 10 ou 20 précédents. C’est bien le même groupe qu’on retrouve qui jouait sur As Long As You Are, il y a un peu moins de quatre ans.

Toutes proportions gardées (on peut considérer que Future Islands n’évolue pas encore tout à fait dans la même catégorie que les deux autres), Future Islands est en train de devenir l’un de ces groupes. Ce n’est ni une mauvaise chose, ni une source de désespérance. On aurait pu citer Morphine également… . Mais on ne peut pas compter à l’écoute d’un nouveau disque sur la notion de surprise pour s’extasier, ni se raccrocher aux arguments habituels vantant « l’évolution du son », la « capacité à se renouveler » ou encore « la prise de risques »…. Cette limite étant posée, People Who Aren’t There Anymore est un bon album de Future Islands et un bon disque tout court. Cet album est le septième du groupe : les Future Islands connaissent leurs forces et en abusent pour le meilleur. La voix de Samuel Herring et la basse de William Cashion confèrent aux morceaux une identité unique, qui est ici habilement secondée par des synthés très libres (Gerritt Welmers) et une batterie plus appuyée que sur d’autres productions (Michael Lowry). L’ensemble donne un équilibre particulier aux morceaux : indé, synth pop, un brin cold wave par moment, mais toujours animés d’une étincelle dansante, d’un rythme binaire et métronomique qui donne envie de secouer la tête et de chanter à côté de Herring.

People Who Aren’t There Anymore fait partie des derniers albums dont l’écriture a été marquée par le Covid. Herring consacre un peu plus de temps que d’habitude à évoquer la mort et l’éloignement. Une partie du disque évoque la dissolution de sa relation amoureuse avec une fille qui vit loin de lui. L’amour s’éloigne à mesure que le temps passe et que l’espace se réduit. La distance se creuse. Sur Say Goodbye, il évoque assez explicitement l’impossibilité de vivre et de dormir à côté de celle qu’il aime :

When I don’t wanna say goodnight
And every day without you feels one closer to goodbye
I just need to make this world seem right
You just sleep tight ’til I’m on your side
Know you need to go to sleep
There’s comfort knowing that at least you can escape this heat
I’ll sit up and watch this world burn bright
I’ll be alright
When you’re on my time

They didn’t change the date
That’s another month to wait
It’s another month to try

To hold on to a lie

Ce morceau est épatant et parfait de bout en bout. C’est peut-être le plus réussi de tous. Les nuits sont longues et solitaires (Deep In The Night), ouvrant au chanteur des espaces de contemplation et de désolation qui lui donnent l’occasion de soigner son timbre de crooner. Ces morceaux au tempo ralenti/alangui sont tout bonnement magnifiques. Ils se répètent un peu côté textes, mais c’est toujours un tel privilége de se tenir si près de la voix de Samuel Herring qu’on a du mal à les trouver répétitifs ou barbants. Corner of My Eye, par exemple, est un titre déjà un peu entendu mais qui est très touchant et réellement émouvant. Herring évoque ici la perte d’un ami et d’une femme, sans doute, tout en se remémorant ses années dans les décors de son adolescence (Baltimore?). Le titre est chanté à fleur de peau, bouleversant de sincérité. Dans le même genre, The Sickness, sur la fin, fait son effet. Quel bonheur d’être quitté ! Quel plaisir de ressentir le malheur qui bat dans notre poitrine et nous serre la gorge ! C’est le blues, l’essence même du romantisme, l’épicentre de cette petite faiblesse qui fait tout le charme du virilisme larmoyant et moderne : je pleure, donc je suis.

Hanté par la mort qui rôde autour de lui, habité par la peur du Covid, de la dépression, Herring part en guerre contre les ténèbres sur un Give Me The Ghost Back stupéfiant, effrayant et plus sonique que ce que Future Islands a fait ces derniers temps. Le groupe retrouve sur ce single une énergie, un sentiment de menace qui avaient quelque peu disparu de ces titres plus mainstream.

Two hundred million feel they’re underneath a knife
A million others, can’t forget what we can’t hide
Saw one friend overdose, another took his life
Gimme the ghost back
Gimme my ghost back

Terror is a long sharp knife
Regret and fear have an appetite
Appetite
So say goodbye to that old white knight
No fairytale ending for the night
Just death and life

Le texte est excellent. Future Islands s’angoisse pour le devenir de la planète sur Iris, une chanson où la basse prend des accents funky, puis se confronte à nouveau à la solitude sur The Fight. D’aucuns diront que Herring surjoue et abuse de cette position de l’amant éconduit, du coeur  brisé d’album en album. Ce n’est pas encore tout à fait un fond de commerce mais l’album joue de cette trajectoire où le colosse plie l’échine et subit plusieurs coups du sort avant de relever la tête et de se réinventer dans un crescendo héroïque qui lui permet d’entonner à tue-tête et de venir combattre à mains nues. Cela donne ainsi un Peach éclairé et empli de résilience. Ce mouvement a beau se répéter et se répéter : l’alchimie entre les membres du groupe, la pulsation basse/batterie conjuguée à la voix du chanteur rendent ces moments irrésistibles.

Car, par delà la connotation plutôt sombre du disque, on retrouve aussi ici la capacité innée du groupe à composer des chansons tubesques et pleines d’espoir. The Garden Wheel (avec son texte hermétique et poétique) est une merveille qui referme l’album de la meilleure des manières. C’est propre, efficace, inspiré et si beau. L’ouverture, dont on a pas parlé, est tout aussi brillante avec un King of Sweden, dévoilé il y a deux ans et qui reste écoute après écoute MONUMENTAL. A ses côtés, The Tower est tout aussi cool, dominé par cette image très chouette d’une tour bâtie au milieu de l’océan qui sépare et permet de voir au loin, comme dans Raiponce.

People Who Aren’t There Anymore décevra sans doute celles et ceux qui sont toujours à la recherche du nouveau, de l’exploratoire et du différent. Future Islands choisit de creuser son sillon, de faire varier le paysage autour d’une même ligne sinueuse et sentimentale. Identiques mais toujours différents. Disque concerné par le sort du monde, triste et inquiet, cet album ajoute une pierre (fendue) à l’édifice qu’Herring et sa bande montent pour nous et qui nous protège quelque peu de l’assèchement des émotions et des sentiments. C’est un disque qui fait pleurer et qui émeut, un disque qui donne envie d’aimer et d’y revenir encore et encore.

Tracklist
01. King of Sweden
02. The Tower
03. Deep In The Night
04. Say Goodbye
05. Give Me The Ghost Back
06. Corner of My Eye
07. The Thief
08. Iris
09. The Fight
10. Peach
11. The Sickness
12. The Garden Wheel
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