Choir Boy / Gathering Swans
[Dais Records]

9.2 Note de l'auteur
9.2

Choir Boy - Gathering SwanLe tout numérique offre d’infinies possibilités de décliner une identité artistique en accompagnant la musique de supports visuels. Pourtant, la plupart des musiciens préfèrent se conformer aux codes esthétiques qui s’imposent en fonction des styles. Il est vrai que c’est une solution efficace pour être identifié à l’heure de la mondialisation et de la prolifération.  Ainsi, un groupe de death-metal ne choisit jamais une photo de paysage floutée pour illustrer sa pochette, à l’inverse de ceux prétendant jouer une bedroom-pop mélancolique. Il y a bien des groupes de gangsta rap qui essaient de montrer autre chose que de plantureuses demoiselles tortillant des fesses aux cotés de solides lascars, mais globalement, les clichés ont la peau dure.

De ce point de vue, Choir Boy innove (enfin pas pour son patronyme qui prête à confusion). Déjà lors de la parution de leur premier album (Passive With Desire Dais Records – 2018), le leader du groupe, Adam Klopp, s’affichait grimé en vampire façon série Z. Honnêtement, cela ne fait rire que lui, mais cela interpelle quand même. Fidèle à cet univers kitsch, il continue pour le second album de Choir Album, Gathering Swans (Dais Records, toujours). Et on ne comprend toujours pas le rapport entre cet univers et la musique qu’il compose. Ces blagues de potaches sont tellement à mille lieux de la mélancolie qui s’en dégage. Car Gathering Swans est effectivement un incroyable moyen de se noyer dans une nostalgie poisseuse. Une porte ouverte sur un territoire intime, un endroit qu’on évite de fréquenter parce qu’on en ressort toujours l’humeur en berne et le mal- être à fleur de peau. Les excursions par là-bas se doivent de rester furtives et sont strictement solitaires, tant elles secouent qu’on n’a nullement envie d’en parler. Et pourtant, c’est un type affublé comme Bryan Ferry sous LSD qui nous sert de timonier.

Dans ces conditions, difficile de partager les sentiments que procurent la musique de Choir Boy. Écartons vite le côté grandguignolesque des visuels et des accoutrements, admettons les sonorités synthétiques. L’essentiel n’est pas là – mais peut certainement arrêter nombre d’auditeurs qui de la même façon, ne parviennent pas à faire fi de la datation des premières œuvres de Talk Talk, Prefab Sprout ou The Blue Nile. Cela ne se discute pas.

Adam Klopp commence l’album par It’s Over car c’est la rupture qui marque le début de l’histoire de ce garçon. Le titre emprunte une formule définitive qui évoque inéluctablement The Smiths pour qui a pansé ses plaies adolescentes avec Morrissey. Dès lors la filiation ne nous quitte plus. Déjà la trompette de Toxic Eye donne la réplique à une ligne de guitare cristalline, avant que Complainer (encore un single !) n’achève de conforter Klopp en élève du Moz. Certes, la boite à rythme est aussi rigide qu’une marche militaire, mais cette ligne de chant, oh, oui ce chant, chamboule comme aux premières heures d’une nouvelle romance. En moins de quatre minutes, on a l’impression d’avoir des artères juvéniles tant le cœur bat la chamade. On est prêt à courir à en perdre haleine (très vite donc), à escalader des montagnes (ou jusqu’au balcon du premier étage). Mais déjà résonne Nites Like This, cette complainte universelle qui constitue un moment en suspens ravivant des souvenirs qu’on s’est efforcé inconsciemment d’oublier depuis une éternité. Le chant androgyne de Klopp laisse planer le doute sur le récit : est-ce le fautif ou le fauteur qui s’épanche ainsi ? En tout cas, le résultat est inexorablement le même, tout autant que la ligne de basse est menaçante. Les regrets ne peuvent pas faire taire les silences. Il ne reste que le souvenir d’espoirs déçus que les cloches de St. Angela Merici accompagnent dans l’au-delà. Éconduit, meurtri, il ne reste qu’à croire en la promesse de l’avenir (Sweet Candy porté par une guitare qui défie la fatalité). Choir Boy roucoule rapidement de nouveau pour séduire (Shatter, que n’aurait pas renié Wild Nothing donc Violens). C’est toujours la ferveur qui anime le groupe. Happy To Be Bad revigore et rend fort grâce à sa rythmique binaire et ses chœurs profonds (ils sont pourtant capables de faire une vidéo avec des Frankenstein en papier mâché pour les incarner). En conclusion, Gathering Swans s’aventure sur un terrain fichtrement glissant, on ne peut plus fleur bleue. Mais c’est sans risque, ceux qui auront suivi Choir Boy jusque là ne se formaliseront plus des arrangements larmoyant.

Il est probable que Choir Boy met trop de distance, entre ces choix visuels et le parti pris pour des sonorités très connotées 80’s, pour séduire le plus grand nombre. Mais une fois cette façade franchie, Gathering Swans s’impose comme la quintessence de la synth-pop actuelle. Délibérément passéiste, crânement assumée, définitivement touchante.

Tracklist
01. It’s Over
02. Toxic Eye
03. Complainer
04. Nites Like This
05.St. Angela Merici
06. Sweet Candy
07. Shatter
08. Eat The Frog
09. Happy to be Bad
10. Gathering Swans
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