Ouf ! Après trois albums soft, Depeche Mode renoue enfin avec les ténébreuses voluptés de Black Celebration, Violator et Ultra. Et convainc sur la longueur.
Au moment de la sortie d’Ultra en 97, le critique Vincent Laufer, pour Les Inrockuptibles, résumait par ces mots l’écoute initiale du disque : « pour la première fois, il faut se battre avec ce groupe, un Depeche Mode instable, sournois et querelleur ». Phrase qui nous revint en mémoire lors de la découverte Memento Mori, album palimpseste empreint d’un avant-goût déceptif, long tunnel électronique aux échos kraftwerkiens, collection de chansons endeuillées et qui entendent le faire savoir… C’est une bonne chose dans les mauvaises nouvelles : Gore et Gahan, dorénavant condamnés à l’union fraternelle depuis le décès soudain du psychologue Andrew Fletcher (ce que montre d’ailleurs le clip du premier single, Ghosts Again), n’ont plus le temps ni l’envie d’enregistrer des albums techniquement sophistiqués au service de chansons un peu forcées (grave problème des précédents Sounds of the Universe, Delta Machine et Spirit). Avec Memento Mori, Depeche Mode semble même vouloir transformer en quadrilogie l’encensement du mal-être qu’édifiait la succession Black Celebration (86), Violator (89) et Ultra (97). La recette se mitonne toujours avec les ingrédients adéquats : pureté ou épure de compositions essentiellement électroniques (pas de Ry Cooder ici) ; production péplum pour faire plonger l’auditeur dans la psyché de Gore et Gahan (et non plus de Fletch, un manque ici présent mais inconscient) ; chant gospel, crooner ou dandy, inévitablement majestueux, d’un Dave Gahan accrédité d’une voix parmi les plus générationnelles des quarante dernières années ; paroles de doutes, d’appréhensions, typiques de Martin Gore à chacune de ses crises de l’âge (aujourd’hui la soixantaine)…
Memento Mori pourrait souffrir de symptômes Bloodflowers (The Cure, 2000), album qui se persuadait que l’allégeance au malheur réactiverait une inspiration artistique contrariée. C’est aussi pour cela que les premières écoutes de Memento Mori laissent perplexes : le minimalisme dark des compositions paraît calfeutrer une absence de refrains cossus (nous parlons de Depeche Mode, quand même), Dave Gahan donne l’impression d’interpréter les idées noires de Martin, l’énorme production de James Ford résonne peut-être comme une fin en soi (Speak to Me, en clôture, tel un cœur qui s’éteint progressivement, sorte d’euthanasie en direct) … Diverses indécisions qui s’estompent au fil des écoutes ; la noirceur n’étant ici qu’un chemin vers une harmonie paradoxalement retrouvée. Car contrairement aux écoutes trop faciles des trois précédents DM, Memento Mori, lui, se déguste avec des fèves.
Ne pas précipiter les choses, donc. Accepter l’idée que Gore et Gahan peuvent toujours surprendre en restant eux-mêmes. Et finalement se laisser envenimer par cinq ou six titres ayant décidé de taper l’incruste dans nos mémoires (mention à My Favourite Stranger et Before We Drown, échappés d’Ultra), ce qui n’était pas arrivé avec DM depuis maintenant dix-huit ans (et Playing the Angel). Les apôtres du groupe ont le droit de se réjouir : en 2023, il faut à nouveau se battre avec la musique de Depeche Mode.
02. Wagging Tongue
03. Ghosts Again
04. Don’t Say You Love Me
05. My Favourite Stranger
06. Soul With Me
07. Caroline’s Monkey
08. Before We Drown
09. People Are Good
10. Always You
11. Never Let Me Go
12. Speak To Me
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