Stephen Malkmus / Traditional Techniques
[Domino]

4.9 Note de l'auteur
4.9

Stephen Malkmus - Traditional TechniquesPar une sorte de fidélité mal placée à notre propre passé (et au sien), on a toujours traité, depuis quinze ans au moins, les albums de Stephen Malkmus avec la plus grande mansuétude. Il y avait presque toujours quelque chose chez lui qui nous rappelait l’époque de sa grandeur : une voix incroyablement précise pour exprimer le détachement, le jeu de guitares venu de Big Star et Arthur Lee, quelque part entre le New York des années 70 et le rock californien, la nonchalance feinte, une capacité à ramasser une idée saugrenue dans une formule, l’envie de foutre le camp. Stephen Malkmus a longtemps été notre héros, un peu hors du coup désormais mais avec toujours suffisamment de classe pour en imposer.

Traditional techniques est étrangement l’album par lequel on a envie d’opérer avec sa musique un grand revirement critique : déboulonner l’idole et en dire du mal de manière franche et (on l’aimerait presque) définitive. L’album ne mérite sûrement pas cela car il reste, malgré tout ce qu’on va dire ensuite, élégant, appliqué et séduisant à l’oreille. Malkmus n’a pas, cette fois-ci, pas convoqué ses Jicks mais fait équipe avec une bande de folkeux respectable dont quelques équipiers fidèles de Will Oldham comme Matt Sweeney et Spooner Oldham, mais aussi enrichi sa réalisation acoustique avec des sonorités world, indiennes notamment, et des instruments exotiques. Le résultat est un album soyeux et bien balancé qui oscille entre le folk du début des années 70 et sa réplique néo-hippie, mâtine de psychédélisme, qui suivra au début des années 2000. On y retrouve, par moment, ce qui n’est pas le pire ici, des résurgences de son délire guitar-hero, à l’image du beau travail en solo sur Xian Man, l’un des morceaux les plus convaincants du disque mais aussi le plus rétro-chic. Car il faut dire la vérité : Traditional Techniques fait un peu penser à Once Upon A Time In Hollywood, le dernier film de Tarantino. Il ressemble à une reconstruction un peu chiquée et factice d’un univers musical qui n’a jamais existé. Le moteur tourne à vide avec l’unique intention de déclencher (ce qui n’est pas si mal) un brin de nostalgie pour l’époque (d’hier et d’aujourd’hui). Dans ses meilleurs moments (The Greatest Own….), on a droit à d’élégantes chansons qui ne disent à peu près rien et qui sont aussi « couleur locale » qu’inoffensives. Mais la majorité des dix titres qui composent cet album passent plutôt sans qu’on s’en rende compte, comme privées d’énergie et d’inspiration. Il faut s’accrocher pour trouver une qualité à une pièce aussi mal fichue et ennuyeuse que Shadowbanned ou être un amateur absolu de folk music pour s’enthousiasmer pour Flowin’Robes. Oldham a dû chanter ce type de chansons un bon millier de fois et avant lui plusieurs centaines de chanteurs inconnus. S’il y a sans doute un intérêt historique et culturel à marcher dans leurs pas sans s’en démarquer, l’idée qu’un chanteur si singulier que Malkmus ait pour seule ambition d’inscrire ses pas invisibles dans un grand continuum ouest-américain nous émeut modérément.
Malkmus réussit de temps à autre à amorcer une belle chanson (What Kind of Person) puis la noie sous un précipité de motifs acoustiques ou, ici, de flûte de Pan, qui évoque vaguement du sous-Nick Drake. On a beau déployer tout notre arsenal méta, il n’y a pas grand-chose ici à sauver que la voix de l’Américain, magnifique lorsqu’elle caresse, mais qui ne prenait, chez Pavement, toute sa valeur que lorsqu’elle opérait en changeant de registre, de tempo et de ton. On peut trouver du réconfort (surtout par les temps qui courent) à se laisser bercer par le ralenti Signal Western mais c’est une chanson monolithique, sans ressort, ni rebondissement et qui, après la deux ou troisième écoute, ennuie plutôt qu’elle ne réjouit. Amberjack est l’exception qui confirme la règle. L’unique exemple d’un titre qui surnage par son intelligence et son embryon de modulation. Il arrive bien tard pour racheter l’ensemble mais pourrait tout aussi bien être joué en boucle pour s’éviter tout le reste.

Notre jugement ne tient pas tant finalement à ce que ce Traditional Techniques propose (il s’en tient de manière très fidèle au programme qu’annonce son titre) mais plutôt à ce qu’on n’aurait jamais aimé entendre dans la bouche de Malkmus. L’idée qu’il enregistre un tel album patrimonial, aussi classique et sans surprise, nous révulse et nous ramène à notre propre célébration de l’(anti)conformisme. L’idée qu’ un type ayant écrit des chansons avec un tel impact sur nos vies puisse se prélasser dans l’anecdotique nous renvoie à notre propre résignation. Celui qui, jusqu’ici, tel un François Fillon de l’indie pop, ne prenait pas une ride, a pris vingt ans d’un coup. C’est cela qu’on ne lui pardonne pas, plus que d’avoir écrit un nouvel album emmerdant : être devenu comme nous.

Tracklist
01. Acc Kirtan
02. Xian Man
03. The Greatest Own in Legal History
04. Cash Up
05. Shadowbanned
06. What kind of person
07. Flowin’robes
08. Brainwashed
09. Signal Western
10. Amberjack
Écouter Stephen Malkmus - Traditional Techniques

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