Nous y voilà. Rappelez-vous : pour fêter l’arrivée du printemps dernier, nous vous parlions du premier album éponyme de Sunlit, nouvel avatar de l’anglais Joe Moore si peu prophète en son pays mais qui mène en Espagne sur le label Eléfant une honnête carrière depuis une bonne douzaine d’années. Si on pouvait regretter, malgré les jolies qualités d’un disque franc et honnête ses trop nombreuses similitudes avec l’univers de Cigarettes After Sex, on formulait néanmoins l’hypothèse selon laquelle les américains n’en finiraient plus de tourner en rond et qu’entre Sunlit et X’s, troisième album des texans qui s’annonçait pour l’été, on ne retiendrait peut-être pas au final le plus connu et vendu des deux ; il allait falloir voir. A vrai dire, poser la question, c’était déjà en partie y répondre et il faut à présent essayer de faire abstraction de ces a-priori un peu négatifs pour jeter sur ce nouvel album que sort le label de Brooklyn Partisan records une oreille ou deux un peu objectives, analytiques et si possible amoureuses.
Premier indice, à peine poussée la porte du disquaire (on se la fait à l’ancienne), la pochette du disque mis en valeur en façade ne dépareille en rien des deux précédents et il faudra d’abord vérifier qu’il s’agit bien de celui de 2024 dont il est ici question. Avoir de la suite dans les idées et vouloir se créer une identité visuelle forte à travers en l’occurrence le noir et blanc, plus noir que blanc d’ailleurs, est une bonne chose, complétement respectable. Le faire avec si peu de nuance ne conférerait-il pas à un léger manque d’inspiration du bassiste et designer du groupe, Randall Miller ? Passons, cela reste malgré tout une belle pochette sombre et mélancolique. Mais le ton est donné : rien, strictement rien ne semble vouloir changer.
D’ailleurs, en n’y prêtant pas grande attention, on pourrait se croire dans Cry, l’album de 2019 qui déjà peinait à se défaire de son ainé. Une autre affaire ce Cigarettes After Sex de 2017 qui parvenait après un coup d’essai insignifiant (Romans 13:9 en 2011 que le groupe verrait bien disparaitre des tablettes, impossible dorénavant) à affirmer un style, une patte, une touche, une atmosphère, une voix ; du grand art. Apocalypse évidemment, mais aussi K., Sweet, Young & Dumb… chaque titre de cet album est devenu un classique après lesquels le groupe semble depuis courir, en vain. Il n’y a pas grand-chose à faire dans ces cas-là : tenter carrément autre chose, splitter (cela revient à peu près au même) ou poursuivre des chimères. Pour le moment, Greg Gonzalez et ses acolytes ont choisi cette dernière option. C’est leur droit le plus légitime et après tout, il nous arrive fréquemment de soutenir des disques que d’aucuns trouveraient complétement anodins et qui ne font en rien avancer la musique en se contentant de reproduire à l’infini des schémas éculés depuis belle lurette ; c’est vrai, mais ce sont rarement des stars internationales que le succès oblige. C’est qu’ici, l’impression tenace est, qu’au-delà du manque criant d’auto-renouvellement (le même tempo tout mou, les mêmes delays et reverb’, les mêmes synthés qui s’étirent lascivement, la même basse sur une corde, la même voix plaintive, quoique toujours aussi attachante, qui traine son spleen à n’en plus finir), Cigarettes After Sex semble vouloir capitaliser sur un succès grandissant en ne changeant surtout pas d’un iota une formule qui leur amène album après album un public de plus en plus large. Il ne s’agirait pas non plus de froisser les gens en faisant n’importe quoi.
La musique de Cigarettes After Sex est consensuelle et cela fait finalement bien plaisir à voir. Que les habituels abonnés du goût discutable ou frileux de la nouveauté se penchent sur son cas est évidemment une bonne chose même si, comme souvent, on sait quel rôle les synchronisations de films et séries ont pu jouer dans ce succès, tout comme les innombrables recommandations de stars-fans ; si Billie ou Taylor disent que c’est bien, c’est certainement que ça l’est. Qu’un groupe sorti des limbes indés soit devenu une référence avec, comme cela est dorénavant la norme, des données chiffrées (streams, vues) incroyables pour ses plus de trois millions d’abonnés sur You Tube, ados tiktokers, ménagères de plus ou moins 50 ans, ex-yuppies et néo-bobos de toutes les capitales du monde sans se renier (c’est le moins que l’on puisse dire) est appréciable. Soit. Mais que restera-t-il de X’s ? Celles et ceux qui découvriront aujourd’hui le groupe avec lui le trouveront charmant (au fond, il l’est) et peut-être se construiront avec cet album la même histoire que d’autres avec Cigarettes After Sex ou Cry il y a quelques années et ce même si tout les ramène à un moment ou un autre à l’omniprésent Apocalypse. Sans doute qu’au fond, cette difficulté à se défaire d’un tel hit est plus le souci de celles et ceux qui aimeraient voir le groupe s’en débarrasser en proposant des choses un peu nouvelles, comme bien d’autres sont parvenus à le faire, non sans difficultés parfois, que du groupe lui-même qui trace son chemin dans une relative discrétion.
Et si cette tâche incombait à Baby Blue Movie ? Oui, il y a bien sur X’s un titre magnifique ; un seul. Avec sa rythmique un peu robotique et relevée, des parties de guitares particulièrement éclatantes et un refrain enfin à la hauteur porté par une voix complètement androgyne, le morceau s’envole sans peine et crée soudain une étonnante communauté de ton et d’esprit avec The XX. Il est vrai que les anglais, à quelques années d’écart, ont eu précisément à gérer eux aussi un énorme succès public centré principalement autour d’un titre phare, Crystalized, duquel ils ont eu du mal à se défaire avec un second album anodin mais un troisième finalement libéré du poids de ce morceau. Ce véritable pic dans un encéphalogramme vivotant est insuffisant pour sauver l’album de l’ennui convenu et poli qu’il inspire mais on ose croire qu’il ouvre des perspectives que le groupe saura un jour explorer lorsqu’il se sera décidé à soigner sa neurasthénie.
On vous avait promis de l’objectivité, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, c’est bien connu. Mais il serait tout autant de mauvaise foi que de prétendre que X’s est un album réussi, à la hauteur des attentes envers un groupe devenu majeur. A l’exception d’un titre, l’album est aussi transparent que le vinyle sur lequel il est gravé. Rien de désagréable ni de crispant, il sonorise parfaitement dans le cocon intime les soirées estivales en terrasse avec des amis de qualité, apporte la sérénité recherchée pour faire un puzzle ou feuilleter un magazine même si, comme précisé sur certaines boites de médicaments, son usage en voiture en particulier de nuit est à déconseiller. C’était attendu, on lui préférera donc la spontanéité saupoudrée d’un surcroit de légèreté lumineuse et de diversité de Sunlit et ses tubes de poche que sont Someone So Beautiful, 1985 ou le superbe Break My Heart. Après tout, qui fume encore après l’amour ?