Alors oui, on vous voit bien ricaner vous là, dans le fond, à l’écoute de Sunlit, premier album éponyme de Sunlit que sort le label madrilène Elefant, rappelant au passage que s’il s’est beaucoup concentré sur la révélation de jeunes pousses pop espagnoles, il est aussi depuis ses tout débuts un havre international, notamment comme toute l’Espagne pour des anglais en mal de soleil outre-Manche. Mais qu’est-ce donc que cette pâle copie de Cigarettes After Sex vous dites-vous, non sans raison de prime abord, dès les premières notes de cet album ? Certes, mais alors, allons au bout des choses. La première, c’est que Joe Moore, l’anglais d’Oxford qui se cache sous ce nouveau projet n’est pas un perdreau de l’année, jugez plutôt : depuis 2012, il a sorti pas moins de 8 albums ou mini-albums sous des noms différents, tous sur le label madrilène qui lui voue une véritable fidélité amoureuse, sans compter de multiples collaborations et productions dans des genres aussi différents que le R’n’B ou l’europop. Que ce soit au sein du duo synthpop The Perfect Kiss ou de l’entité principale qui l’a fait connaitre, le très sixties The Yearning, il a développé depuis une bonne dizaine d’années un univers classique et classieux dans lequel il exprime une créativité foisonnante dont Sunlit est aujourd’hui la nouvelle expression. La seconde, c’est que ces similitudes s’expliquent aussi par des influences communes volontiers citées par les deux musiciens qui puisent autant dans la pop sixties (française notamment) que chez les Cocteau Twins en passant par Erik Satie. Enfin, si Greg Gonzalez a indéniablement popularisé une signature vocale immédiatement identifiable, il n’a pas non plus inventé un genre vieux comme la pop et semble même aujourd’hui peiner à en sortir pour se renouveler un tant soit peu. Le troisième album de Cigarettes After Sex à paraitre l’été prochain semble bien parti pour confirmer l’impression laissée, déjà, par le second album, Cry, en 2019. A partir de là, impossible d’au moins laisser à l’anglais la chance de prouver que la copie n’est peut-être pas si pâle et s’avère, au contraire, un peu plus excitante.
En réalité, s’il est incontestable que les deux univers sont à rapprocher sur un plan strictement formel, celui de Sunlit va rapidement se distinguer par son caractère beaucoup moins neurasthénique et l’indéniable aptitude de Joe Moore à apporter à ses compositions de subtiles variations qui vont, au final, composer un univers bien plus coloré et empli de clarté que celui des américains. S’il est bien question d’une dream-pop un peu noisy, l’album marqué par une économie de moyens et une certaine austérité des arrangements à l’opposé des très orchestrés albums de The Yearning notamment, va assez directement au but et vous plonge avec une certaine élégance mélodique dans des atmosphères romantiques et feutrées à vous briser le cœur. La similarité tient sans doute aussi au fait que, pour la première fois, Joe Moore cesse de faire chanter les autres, des femmes en général et nous fait profiter de sa belle voix chaude qui porte sans peine de belles émotions, quand la tristesse devient beauté, adoucissant des larmes pourtant amères. Il est juste un peu regrettable qu’il ait choisi d’user des mêmes artifices comme ces reverb’ qui dégoulinent un peu et contribuent à alimenter la comparaison, au risque de passer à côté de ses compositions lumineuses. A se demander parfois si, dans l’entourage des musiciens ne se trouve personne bénéficiant d’un minimum de recul pour attirer l’attention sur ces similitudes que seuls les fans transis et leur haute subjectivité ne sauront voir.
Évidemment, tout au long des dix titres de Sunlit, on passe d’une zone de confort à l’autre sans jamais risquer l’incident, quel qu’il soit. Pris à témoins de la vie sentimentale quelque peu larmoyante de Joe Moore, on le prendrait volontiers dans les bras pour lui faire un gros câlin de cœur d’artichaut sensible à ses déboires nostalgiques. S’il évoque tour à tour la douceur des premières rencontres (Glorious Isolation) et des premiers baisers adolescents parfois inattendus (Teenager), Back et son atmosphère à la Julee Cruise dans la pénombre rouge du Roadhouse de Twin Peaks (on y croisera aussi Jasmine et sa slide langoureuse) parle elle de la place des regrets dans la vie et du désir d’échapper à un passé trop omniprésent. Régulièrement, il finit par nous transporter dans des atmosphères qui évoquent aussi les disques de Mazzy Star ou de Beach House, autres références du genre. Et puis il y a ce titre, un single évidemment, Break My Heart, qui en moins de trois minutes et un refrain qui est peut-être d’ores et déjà le plus beau de l’année parvient à faire oublier tout ce contexte formel pour se concentrer sur ce très beau texte un rien masochiste autour de la fidélité amoureuse, ce challenge pas toujours facile à relever de continuer à aimer de tout son cœur même face à des envies d’aller voir ailleurs. La vie sentimentale de Joe Moore n’a de toute évidence rien d’un long fleuve tranquille, comme tant d’autres mais au moins elle l’inspire pour écrire une poignée de jolies chansons sans prétention, ce qui n’est déjà pas si mal. L’anglais s’autorise tout de même une petite coquetterie en fin d’album en reprenant à sa façon, à la suite du très beau 1985, Don’t Cry Tonight de Savage, tube italo-disco de… 1984 ayant cartonné un peu partout en Europe (moins en France) et qu’il se réapproprie d’une fort jolie manière en le débarrassant de ses oripeaux quarantenaires qui ont le goût de la madeleine un peu rancie.
Sunlit s’avère être le travail le plus personnel, introspectif même d’un Joe Moore capable de passer d’un style à un autre selon ses projets sans rien altérer à sa capacité d’écrire de belles chansons pop un peu tristes, très souvent les meilleures, il faut bien le rappeler. On ne peut que regretter, malgré les efforts déployés par moment pour s’en détacher, que les similitudes avec Cigarettes After Sex ne viennent quelques peu altérer l’écoute du disque en y introduisant confusion et même gêne par moment mais après tout, elle ne dérangera en rien celles et ceux qui n’ont jamais entendu parler du groupe de Brooklyn et, en toute honnêteté, Sunlit est loin d’être le premier groupe qui « ressemble à » qu’on aimerait bien ; il y en a même qu’on adore. Alors en attendant que les américains daignent nous prouver, s’ils en sont capables, qu’ils restent les patrons incontestés du genre, profitons, ça n’a rien d’incompatible, de ce premier album de Sunlit pour accompagner les derniers frimas de l’hiver, l’arrivée des jonquilles et des primevères. Si ça se trouve, à la fin de l’année, ça n’est peut-être pas les plus connus que l’on gardera.