Cinerama / Stereolab : sur un dernier air (parfait) de pop anglaise…

Cinerama - Va Va Voom 25On a eu beau vanter les charmes des musiques alternatives américaines à longueur de (Chrono)Top 2024, on ne pouvait pas finir l’année sans rendre un hommage appuyé à deux sorties purement pop et british qui n’ont eu aucun mal à changer la face de notre Noël 2024. Fi de la nouveauté, il s’agit de groupes patriarcaux, mais toujours verts (même si retraités du rayon nouveautés depuis près de quinze ans pour Stereolab) et qui nous viennent tout droit des années 90.

On commencera, une fois n’est pas coutume, par les messieurs avec le retour de David Gedge et de Cinerama pour un ré-enregistrement classieux de son premier disque Va Va Voom qui sort, comme il l’a pratiqué avec d’autres enregistrements du Wedding Present, dans une version richement ré-arrangée et baptisée Va Va Voom 25. Ce nouveau millésime ressort assorti d’un chouette enregistrement live, la scène étant le seul endroit où on a pu observer ce groupe second depuis une petite dizaine d’années et son dernier album, Valentina. Avec Va Va Voom, c’est retour à 1998 et une période où Gedge en délicatesse avec son Wedding (qui a perdu quelques membres) s’aère et cherche à s’éloigner de sa formule speedée habituelle pour prendre son temps et partager un échange artistico-sensuelle avec Sally Murrell, sa compagne d’alors. L’idylle durera 4 ou 5 ans, durée pendant laquelle Cinerama produit trois premiers disques magnifiques. Va Va Voom présente un Gedge à la cool, débarrassé de cette urgence maniaque qui anime le Wedding. Les chœurs et l’orchestration (assez chiche sur l’enregistrement original) donnent un côté pop 60-70s à l’ensemble, un côté Nouvelle Vague et lounge, qui enchantent et laissent parler les compositions remarquables qui figurent sur ce disque.

Le cru 2025 (on ne sait pas si ce sont de vrais musiciens mais l’effet waouh est de sortie) repose sur des moyens accrus. Plus de cordes, plus de lustre, plus d’ampleur et un effet vintage décuplé, sur une voix intacte : Va Va Voom 25 est infiniment séduisant et fait resplendir les joyaux que sont Maniac, Hard, Fast and Beautiful et notre chouchou éternel Barefoot in the Park. La référence au film qui met en scène Robert Redford et Jane Fonda (le film est de Gene Saks) est irrésistible et nous ramène à cette époque (la fin des années 60) où tout semblait si simple. Tout ou presque est parfait sur ce disque : la langueur, la romance, l’élan du cœur. Cinerama a des allures de pop « à la française » et lorgne vers les grands compositeurs tels que Lalo Shifrin, Michel Legrand et consorts, sans que cela sonne jamais faux ou prétentieux. Cinerama reste une expérience assez unique où l’ADN du rock puissant et indépendant d’un groupe majeur se déverse avec une subtilité dans un écrin de cordes et de sentimentalisme inédit. La formule sera portée à son apogée avec l’album suivant (qu’on préfère donc encore à ce premier LP), Disco Volante, mais c’est une autre histoire.

Stereolab BBC Radio SessionsLa transition est assez facilement faite avec la sortie qu’on a failli louper du Volume 1, en 4 titres et 12 minutes, de ces BBC Radio Sessions d’un autre groupe célèbre, Stereolab. Les allures françaises de Cinerama font écho ou répondent au charme inestimable de notre citoyenne préférée, Laetitia Sadier, qu’on a honorée en solo cette année, et qui, en équipe avec Tim Gane (et Andy Ramsay) est à la tête d’un des plus beaux et estimables patrimoines rock indé du monde. L’oeuvre de Stereolab a reçu toutes les attentions ces dernières années avec des rééditions multiples et sublimes mais aussi cette année (c’était en mars et on n’en a pas parlé) la sortie de l’intégrale volume 1 à 5 des Switched On series (une collection de titres de jeunesse du groupe autour du Moog… en 5 CDs) et leur « sampler », sorte de best-of échantillon (2 morceaux ar disque) baptisé Little Pieces of Stereolab (A Switched On Sampler). Il faut absolument se procurer ce disque si vous ne l’avez pas encore fait : il témoigne d’un temps disparu où le shoegaze et la pop ligne claire partageaient le même projet : électrifier les sentiments, les exprimer avec le plus de finesse possible sans renoncer à l’expérimentation et au bruit.

On retrouve d’ailleurs quelques uns des titres présents sur la compilation sur la nouveauté du mois (et de la semaine) à savoir l’édition en EP des 4 morceaux du groupe figurant sur le coffret des BBC Radio Sessions qui sort pour les fêtes chez Beggars Arkive. Le truc est assez exceptionnel et hors d’atteinte (300 euros), c’est pour cela que l’on ne l’a pas retenu dans notre liste de Noël. Le coffret comprend des sessions magiques de The Fall, de Bauhaus, Moonshake ou encore Electralane.… et donc un EP dédié au passage de Stereolab chez John Peel.

C’est ce 4 titres (avec celui de Bauhaus) qui a été choisi pour une sortie « à l’unité » chez Too Pure avec Laissez Faire, John Cage Bubble Gum, Revox et Peng 33. On n’a pas besoin de dire aux personnes familières du groupe à quel point ces morceaux sont bons. Le premier morceau date et sonne bien comme un morceau de 1992. Il est absolument fabuleux dans cette version Peel Session, et nous rappelle que Stereolab (c’est une opinion que d’aucuns contesteront) a toujours été bien meilleur sur scène que sur disque. Peng 33 figurait au même moment sur le premier album du groupe à une époque où le groupe ne présentait pas la même sophistication que sur ces derniers travaux. On avoue avoir toujours gardé un faible pour cette époque et cette fraîcheur intelligente. On ne résiste pas à reproduire le texte de ce classique pour que vous le chantonniez en le réécoutant.

Curiosity was far greater than our fear
It felt so simple and so prodigious at the same time
Incredible things are happening in the world
Magical things are happening in this world
Across the river there are all kinds of magical instruments
While really we keep on living like monkeys
Incredible things are happening in the world
Magical things are happening in this world

On peut dire à peu près autant de bien des deux autres titres, qui ont la particularité de résonner en français. Revox est  l’un des fleurons de simplicité que l’on avait découvert avec la compilation de 1995, Refried Ectoplasm. Le morceau était sorti sur un split single en 1993, et comporte l’une des plus chouettes parties de guitare de l’histoire du groupe. Le quatrième morceau, John Cage Bubble Gum, est aussi exceptionnel avec un départ à la Wedding Present, rapide et qui fonce tout droit dans un mur invisible. Le chant est ici absolument parfait, aérien, expressif et vif comme le vent. Le morceau a été enregistré à la même période que le précédent (cela s’entend, circa 1993) pour là aussi finir sur un single confidentiel et atterrir deux ans plus tard sur cette même collection, Refried Ectoplasm, qui est au final l’un des disques les plus méconnus et appréciés du groupe.

Ceux qui trouvent qu’on y va un peu fort sur les superlatifs pour décrire ce 4 titres seront bien inspirés d’aller les écouter. Comme dirait Yseult, notre influenceuse en bon goût, si vous n’y comprenez rien, allez vous faire étouffer ou masturbez-vous. Ou les deux en même temps façon David Carradine.

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