2024, l’année des revenants ! Il n’y a donc pas que le nouveau (et probablement éphémère) gouvernement qui sent la naphtaline. Cette année, même le Comité Miss France n’a pas cédé aux sirènes de la précocité. L’actualité musicale des derniers mois aura elle aussi été animée plus sûrement par les tauliers, que par des jeunes pousses célébrant l’avenir. A l’heure de la morosité ambiante, on appellera ça la résilience, car cela permettra de préserver une once d’espoir.
Voici ainsi la vingtaine d’albums qui aura accompagné notre quotidien, avec une sélection de morceaux qui complètent ceux déjà mis à l’honneur sur les sélections In The Trip que vous pouvez découvrir par ailleurs.
01 – DIIV / Frog In Boilling Water (Fantasy)
Les mathématiques sont implacables : l’album qui est revenu le plus souvent cette année sur la platine est Frog in The Boiling Water. Il faut savoir l’admettre et ne pas imaginer que la notoriété croissante de DIIV se serait faite au prix d’une déviance commerciale. Même si la bande de Zachary Cole Smith jouit du statut de gardien du temple de la scène grunge américaine, le désormais quatuor n’a en rien transigé à l’heure de ce 4éme album, friandise irrésistible pour ceux qui alimentent leur cholestérol. Avec ce chant trainant qui surnage au-dessus de lignes de guitares insistantes et vrombissantes, les New-Yorkais offrent de belles mises en perspective, jouent sur la profondeur de champs en maniant les codes de la noisy-pop. On y passe de ruades bravaches à des descentes mélancoliques, le tout sans véritable single mais sans se soucier de la parenté et en gardant une posture militante.
02 – Fontaines D.C. / Romance (XL records)
Attendus de pied ferme, les Irlandais n’ont pas déçu cette année avec un album d’une incroyable diversité et une tournée assurée et assumée. On rentre dans Romance en suivant les traces les plus sombres de Depeche Mode, avant que Fontaines D.C. ne brouillent très vite les pistes avec une incartade portée par une scansion hip-hop, bifurquent en sautant sur la pédale wah-wah comme Weezer, serrent le frein à main pour une ballade romantique, reviennent pour entonner un hymne pop taillé pour les stades, et ainsi de suite au fil d’un album généreux. Bref, Grian Chatten et ses compères ne renoncent devant rien en jouant les insaisissables feux follets. C’est quelque peu déroutant aux premières écoutes, mais très vite, ce quatrième album se relève fascinant et inusable.
03 – The Cure / A Fragile Thing (Polydor)
Cela ne fait pas de doute que le retour de The Cure, seize ans après 4:13 Dream, aura constitué le grand événement de l’année 2024, celui qui aura occulté le reste et animé les longues discussions pour savoir si Robert Smith accompagné du toujours fidèle bassiste Simon Gallup avait renoué avec la magie du triptyque du début des 80’s (certainement), si la production était juste (ça se discute en effet), si la pochette était la plus moche de toute leur discographie (pas de doute !), si … etc., etc. De ces discussions entre gens qui ne s’écoutent plus vraiment – à cause de la surdité ou parce que chacun a un avis définitif pour jauger chaque album du groupe culte. Alors oublions ces bavardages futiles et profitons seulement de ce que The Cure est encore capable de nous procurer de l’émotion.
04 – Early Day Miners / Outside Lies Magic (Solid Brass)
Parmi les retours en grâce improbable, il y a celui d’Early Day Miners. Alors qu’on croyait Dan Burton désormais concentré sur la poursuite du projet Ativin (une référence de la scène math-rock US), le groupe de Bloomington revient treize ans après la parution de son dernier album sous l’acronyme d’EDM qui scellait un nouveau line-up. Retour au bercail pour tout le monde, mais aucune nouveauté à l’horizon : Outside Lies Magic transgresse les limites des genres, entre rock et folk, pour évoquer les déboires et les doutes. Ils reviennent de loin et en ont toujours gros sur le cœur.
05 – Tarwater / Nuts of Ay (Morr Music)
A une époque qui parait si lointaine désormais, Tarwater a sauvé l’électronica de l’aridité et a réenchanté la pop-music. Ou inversement. On ne sera donc jamais objectif avec le duo allemand, même si on doit bien reconnaître que l’influence du groupe s’était émoussée ces derniers temps. Autant dire donc que Nuts Of Ay est aussi prodigieux que la résurrection de Marie-Madeleine ou une main de Thierry Henry pour envoyer la France en finale. Cet inattendu album, pour le compte de Morr Music – ce qui contribue à lui donner une patine des années 2000 – et qui compte pas moins de six reprises, est soutenu par une pulsation électronique, que viennent agrémenter des arrangements jazzy et orientalisants. La fascination qui s’en dégage touche au mystique.
06 – One True Pairing / Endless Rain (Domino)
A cause de sa grosse voix, on peut vraiment se demander si Tom Fleming parviendra un jour à perforer le cœur des foules. Et pourtant, c’est aussi ce chant voix hors-norme, associé à sa fragilité, qui fait la singularité de One True Pairing. C’est peu de dire que l’ancien de Wild Beasts se met à nu sur son cet album. Les fêlures, le doute, le désarroi sont au menu copieux (treize titres, presque 1h00 et pas plus d’un seul sourire) d’Endless Rain qui laisse la mélancolie gagner l’auditeur. Et malgré la profondeur vertigineuse de ses états d’âme, l’Anglais atteint des sommets.
07 – Topographies / Interior Spring (Dark Entries)
Le franchissement du deuxième album et toujours un exercice difficile. Et Topographies pâtit presque de l’excellence de ses premiers singles et d’avoir publié Ideal Form (Funeral Party Records – 2020) faisant office de compilation de tubes et bénéficiant à plein de l’effet de découverte (on a vite fait d’oublier que l’un des membres est le fils de Lol Tolhurst de The Cure tellement c’est anecdotique et que le trio s’affranchit de l’influence parentale). Pourtant, il n’y a rien à reprocher à cet album publié pour le compte de Dark Entries, bénéficiant d’une production clinquante. Chant habité, basse abyssale, mélodie entêtante, le trio s’affirme comme le renouveau de la scène post-punk, sans fioriture ni posture factice.
08 – Nürnberg / Akdaz (Young And Cold Records)
On ne saurait se rappeler comment la musique de Nürnberg a fini par résonner dans les enceintes. Minsk n’est pas une destination prisée sur la carte mondiale de l’indie-rock et à part quelque groupes russes dont Motorama dont on se plait toujours à saluer l’exotisme, on ne cherche pas la nouveauté vers l’Oural. Pourtant, depuis la découverte du duo biélorusse sur la foi du single Znajomstva (2023) et de sa version acoustique absolument renversante, on a appris à passer outre le minimalisme de la forme et la rigidité post-punk de la structure pour mieux savourer le romantisme (russe bien évidemment) de Nürnberg.
09 – Marlin’s Dreaming / HIRL
A croire que les marges sont propices à l’invitation au voyage. Il y a presque vingt-cinq ans, lorsqu’on découvrait Kings Of Convenience, c’était des Norvégiens qui tenaient la barre. Désormais, c’est un quatuor de jeunes Néo-Zélandais qui nous emmène en périple, du côté des Samoa, vers les plaines de l’intérieur de l’île, ou un horizon tout personnel. Autant de destinations constituant de formidables sources d’inspiration pour Marlin’s Dreaming, le groupe le plus cool de la pop des Antipodes. Leur quatrième album, HIRL, paru au creux de l’été en toute confidentialité (et même pas sur support physique, quelle tristesse) est probablement la plus excitante découverte issue de la scène de Dunedin depuis les illustres The Chills. Rien de moins.
10 – Bill Ryder-Jones / Iechyd Da (Domino)
Bill Ryder-Jones confiait lui-même que son sixième album était le plus abouti et le plus ambitieux. Indéniablement, Iechyd Da est celui qui met le plus à l’honneur les talents de l’ancien de The Coral pour orchestrer richement des mélodies tarabiscotées. Il faut donc y revenir à plusieurs fois pour en prendre la mesure, savoir qu’ici les cathédrales s’effondrent comme des jeux de cartes. Un mellotron ou un piano peuvent courser un quatuor de cordes emphatique, la batterie peut avoir la souplesse du jeu au balais ou la martialité d’une fanfare militaire, un chœur d’enfants peut être remplacé par une diva soul. C’est bien là d’ailleurs la seule limite à cette œuvre : elle demande du temps pour en apprécier la sensibilité.
11 – Quivers / Oyster Cults (Merge)
Lorsqu’on découvre Quivers avec retard (c’est déjà leur quatrième album), on a l’impression de monter dans un carrousel piochant dans notre discothèque. Au deuxième tour, on a déjà la tête qui tourne et l’ivresse nous fait perdre la raison. L’alternance et la combinaison des quatre voix des Australiens leur permettent de déployer un large panel d’émotions. Ça s’emballe sur un riff power-pop, ça roucoule au rythme d’un piano brinquebalant, ça minaude (l’incroyable Oyster Cuts), ça chante à la tierce sur une guitare en picking. Voilà un chouette tour de l’International pop vue depuis les Antipodes.
12 – Douglas Dare / Omni (Erased Tapes)
A ses débuts, Douglas Dare paraissait comme ce frêle artiste, quelque peu inhibé, faisant part de ses compositions intimistes construites sur une base jouée au piano et donc affilié à la scène néo-classique. Quatre albums plus tard, le voilà devenu chantre de la technopop, jouant ouvertement sur son androgynie. Infrabasses qui tabassent, cliquetis frénétiques, chant effrontément sensuel : l’Anglais s’avance désormais avec une pointe de défi. Moins troublé, toujours aussi troublant.
13 – System Officer / In Our Code (Go-Home)
Suivre la discographie d’Armistead Burwell Smith IV est un exercice qui maintient en forme le fan de rock élastique. Celui qui use aussi du patronyme de Zach Smith constitue la moitié de Pinback, s’exprime depuis plus de vingt ans au sein de Three Mile Pilot et joue dans une multitude d’autres groupes. Mais son projet le plus personnel est probablement Systems Officer dont on n’avait plus rien entendu depuis quinze ans (si on n’a pas raté un épisode). Autant dire que la parution de ce 2nd album est une belle surprise. Comme c’était prévisible pour qui connait ses autres projets, il n’y a rien de neuf, au grand plaisir des amateurs de chausse-trappes mélodiques, de math-rock contrarié ou de refrains noisy-pop joués en mode mineur.
14 – The Reds, Pinks and Purples / Wishing Well (Tough Love)
Bien évidemment, depuis que Glenn Donaldson s’est concentré sur son projet The Reds, Pinks And Purples au sein duquel il invite ses amis (après avoir contribué à une multitude de groupes éphémères), la musique de l’Américain nous aura encore accompagnée tout au long de l’année, avec nombre de vignettes pop balancées en format digital, y compris des recueils d’instrumentaux. On a donc pris l’habitude de ces chansons à l’évidence mélodique, pétries de mélancolie domestique. En guise de nouvel album, le quinqua a regroupé cette fois-ci des chansons un peu plus policées que d’ordinaire. Cela reste le meilleur rapport qualité / prix pour s’assurer un excellent niveau de confort musical au quotidien.
15 – Don’t Get Lemon / Have Some Shame (à la Carte Records)
En lisant une description de la musique de Don’t Get Lemon comme le résultat de « l’immersion de Orchestral Manœuvres in the Dark au cœur du Texas », on a forcément eu envie d’en savoir plus sur la musique du trio d’Austin. Si la formule est bien évidemment très flatteuse, elle n’en est pas moins dénuée de fondement. Comme chez leurs contemporains de Nation Of Language, leur synth-pop flirte régulièrement avec l’électro-dance pour emmener leurs chansons intimement lyriques sur le dancefloor. Evidemment, on perçoit largement l’influence de Madchester et de New Order en particulier. Que du bon.
16 – W. H. Lung / Every Inch of Earth Pulsates (Melodic)
Cela faisait bien longtemps qu’on ne s’était entiché d’une production estampillée Melodic, l’un des meilleurs pourvoyeurs de la scène de Manchester depuis le tournant des années 2000. Déjà auteur de deux albums, c’est véritablement avec Every Inch of Earth Pulsates que W. H. Lung franchit le Rubicon, s’écartant de leur formule shoegaze de base pour lever le nez de leurs godasses. Ça se joue à pas grand-chose, mais le chant est plus affirmé, harangueur, et les mélodies bénéficient d’un regain de ventilation. En baissant un chouia le rythme et avec une production plus aérée, le quintette pourrait prétendre s’approcher du feu sacré des cultes Doves.
17 – Lescop / Rêve Parti (Wagram Music)
S’il fallait préserver l’exception française, on retiendrait certainement Lescop comme représentant de la scène francophone. Mais si Rêve Parti doit figurer parmi les réalisations marquantes des derniers mois, ce n’est pas pour remplir les quotas qui, appliqués en matière culturelle (comme dans d’autres registres), est une aberration. Après l’escapade anglophile Serpent, Mathieu Peudupin signe un album majeur de par la qualité de ses textes, toujours à double sens et riche en formules définitives, et ses mélodies synth-wave aussi simples qu’imparables. Non content de claquer treize chansons et presque autant de singles, Lescop en remet une couche avec un single hivernal aux accents très Taxi Girl.
18 – New Labour / New Labour – Shall We Pray, Dear? (Too Good To Be True)
L’une des plus belles découvertes de l’année a été permise, une fois encore, par le label aussi artisanal qu’indispensable Too Good To Be True. Les Brestois avec des moyens limités, mais des oreilles affutées et beaucoup de cœur, ont compilé tout ce que New Labour avait réalisé jusque-là, soit pas moins de dix-sept chansons composées, enregistrées et expédiées sur Bandcamp en six mois faisant office d’exutoire au « chagrin, la colère, la tristesse et la rage » pour leur auteur. De l’Australien, on ne connait pas grand-chose si ce n’est que Caleb Carr a également produit d’autres chansons sous le nom d’English Summer et que depuis cette compilation, il a diffusé bon nombre de nouvelles chansons. Dans cette hyper-productivité, on retiendra surtout les saillies évoquant le New Order formé sur les cendres de Joy Division et les bluettes anorak-pop à la The Wake dans leur période allant de Factory Records à Sarah Records.
19 – Yannis & The Yaw / Lagos Paris London (Transgressive Records)
Au moment de la pesée, on pourra trouver Lagos Paris London un peu léger. Cinq titres pour un peu plus de vingt minutes, c’est quand même en dessous des standards de l’époque qui ont déjà vu réduire la durée des albums pour se conformer au format d’un vinyle 12’’. En revanche, pour sa première escapade en solo, le chanteur de Foals qui a réuni pour l’occasion un casting illuminé par feu Tony Allen, réussit un crossover très réussi, entre l’afrobeat qu’il affectionne et les envolées épiques qu’il incarne jusqu’à l’excès, parfois, au sein de son groupe mastodonte. Ces cartes postales aux accents exotiques sont une invitation à danser frénétiquement aux sons de rythmiques syncopées, de cuivres endiablés et de guitares chaloupées.
20 – Soft Kill / Escape Forever (Cercle Social Records)
La discographie de Soft Kill est un dédale pour le fan. Le groupe de Tobias Grave démultiplie les formats et réédite ses réalisations au fur et à mesure de l’épuisement du stock de tirages ultra limités – parfois même, avec des pochettes complétement différentes. Dans cette frénésie brouillonne, on ne conseillera pas Escape Forever aux premiers venus. Cet album marque en effet un retour à un son plus brut que les dernières productions du groupe chicagoan… et en même temps, c’est bien la première fois qu’il ouvre des fenêtres sur d’autres styles, avec des ajouts de samples hétéroclites, et quelques incartades presque… dansantes.
Photo : capture d’écran du clip de In The Modern World de Fontaines D.C.