Le Mans est une terre de désespoir. La ville aura livré, dans le registre, au moins deux monstres pop qui ont dû provoquer par leur travail noir et mélancolique la perte d’un bon millier d’âmes. Jean-Luc Le Ténia, le génie bricolo local, n’y aura pas survécu, préférant en finir plutôt que de poursuivre sur ce ton là. Roboy, ancien membre du groupe No Grizzly (autre curiosité clandestine), a pris le relais dans un registre beaucoup moins amusant, plus électro et transgenre. Comme Le Ténia, Roboy a la détresse parfois enfantine. C’est ce que laissait transparaître ses précédents disques au synthé joueur et rythmiques dansantes qui contrebalançaient en partie la noirceur du propos. Il ne fallait pourtant pas s’y tromper : on navigue avec Roboy depuis toujours en eaux profondes, que cela se fasse en chanson ou par le biais d’instrumentaux déchirants (on pense au splendide Naufrage de 2015 sur l’album Adularescence). En 2018, Roboy sortait un ep intitulé Le Petit Chat Doit Mourir. C’est fait désormais.
Pour son nouvel EP/LP, Roboy a décidé de porter haut son fardeau existentiel. Son Petit Chat est mort comprend rien moins que 8 titres, presque tous indispensables et qui font passer Joy Division pour une bande de joyeux drilles. On reviendra prochainement sur l’ensemble mais le single éclaireur est à lui seul témoin de la terreur qui règne désormais en Sarthe et qui n’a pas attendu la Covid pour imprégner les esprits. Notre Enfer est une tuerie électro-pop hideuse et qui fait souffler un vent glacé et morbide sur la pop française. Roboy y déplace légèrement ces machines vers un territoire cold wave qui fait frissonner et électrise. Le clip statique et hypnotique ajoute à l’impression de sourde détresse qui rend ce morceau aussi grand que tragique. La partie chantée, écourtée par ce qu’on imagine être la mort de l’interprète ou sa disparition, laisse la place rapidement à un instrumental fascinant, dansant et crépusculaire en diable. Assiste-t-on à une descente aux enfers ? A un défilé sur des Champs Elysées emplis de zombies et de types masqués ? Il souffle sur ce single un vent glacé chargé de menace et de miasmes bien plus dangereux que ceux dont les masques nous protègent. C’est devant la banalité crasse du quotidien, devant sa médiocrité et sa lourdeur que Roboy courbe l’échine et craque sous nos yeux. Le tableau est grandiose et nous dépeint plus petits et misérables que des fourmis. Peut-être aurions-nous pu nous passer, par les temps qui courent, d’un tel constat mais, comme on dit, c’est sans doute mieux de toucher le fond avec Roboy que de faire semblant avec d’autres.
De Notre enfer au paradis, il n’y a qu’un pas. La musique est là pour ça : changer la poisse en boue et la boue en or. Et vice versa. Le disque sera disponible à compter d’aujourd’hui sur le Bandcamp du groupe.