Avec le léger reflux de la scène de l’Ouest qui dominait le genre depuis une petite décennie, un espace s’ouvre à l’Est et au Nord pour la renaissance shoegaze. C’est dans celui-ci que s’engouffrent avec un talent certain et iconoclaste les jeunes lillo-strasbourgeois de Sinaïve avec un nouvel EP à paraître le 23 octobre chez Buddy Records et intitulé Dasein EP. Le groupe est emmené par Calvin Keller, un jeune homme qui signe toutes les compositions même si, au fil des écoutes et de leur progression (ils ont 1 ou 2 EPs derrière eux), le groupe semble s’affirmer soniquement comme un collectif plutôt que comme le jouet d’un seul.
Le premier extrait clippé, Eternel Retour, est impeccable et dédié à Strasbourg, mon amour, capitale européenne. Le reste est à l’avenant : crépitant, intelligent, moqueur et virtuose. Pour dire la chose, cette entrée en matière nous rappelle comme deux gouttes d’eau la découverte au milieu des années 90 du GodSpeed You! Black Emperor, c’est dire. La mixture composée par Sinaïve est brûlante, incandescente, âpre et volcanique. Ca pète dans tous les coins avec des samples qui dégoulinent d’entre les zébrures de guitares électriques pour conférer à l’ensemble une portée critique assez fascinante. Paradoxe Français lorgne du côté de chez Diabologum avec un chant en français en voix blanche et à plat qui marque l’esprit de révolte et le côté désabusé. Le final de ce titre merveilleux s’ébroue de poésie sonique et témoigne de la maîtrise étonnante du genre.
Sur le Syndrôme de Vichy qui suit, Sinaïve opère en délicatesse hypnotique entre le My Bloody Valentine éteint et pop des débuts et la Fat White Family après la soupe à l’oignon du dimanche matin. C’est beau, élégant et comme en apesanteur. Il faut se lever de bonne heure pour se remémorer un EP aussi réussi et bouleversant. On pense au jeune prodige Jackson Scott à l’écoute du bringuebalant et DIY Masse Critique avant de rêver à l’amour éternel avec le final Avec Elle.
On n’en fera pas trop s’agissant d’un disque qui demandera confirmation mais le quatuor mixte (2 gars, 2 filles, qui, plus est avec un look bien dans l’époque qui devrait plaire) réalise avec ce 5 titres un sans faute qui épate, étonne et éblouit. Ca n’est pas tous les jours. L’écoute de leurs précédents singles montre combien le groupe a progressé en sortant de l’impasse cabotine à la française pour dissimuler les voix, les harmonies sous une couche de larsens et d’effets qui en transfigurent l’usage. C’est bien dans la dissimulation que l’harmonie/disharmonie est plus belle, dans le mystère que naît le pouvoir. Là où leur Révélation Permanente était assez commune, ce Dasein semble enfin révéler leur être profond et ouvrir un champ (psychanalytique) nouveau et passionnant.
02. Syndrome de Vichy
03. Masse Critique
04. Eternel Retour
05. Avec Elle
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