La petite comète pop des années 2000 amorce son retour avec Cool. L’américaine Uffie, qui avait explosée suite à l’installation du câble Ethernet dans les foyers et le tourbillon créatif sur MySpace, petite sœur protégée du label Ed Banger, atout pop et charme de la noble maison de Busy P, signe son retour après… une décennie d’absence ! C’est ce petit carrosse, complété par la frange des Charlie XCX et M.I.A. en Grande-Bretagne ou Yelle et Stromae en France, qui préparait les plates-bandes aux bolides américains qui allaient suivre. Dès 2006, elle incarnait, avec trois ans d’avance par rapport aux cylindrées américaines (Lady Gaga, Katy Perry, etc.) qui se préparaient à l’avaler, ce courant d’un électro léger comme une bulle éclatant dans un « pop! ». Alors que celle-ci n’était même pas encore jeune adulte…
Certains s’en souviennent comme si c’était hier : c’était une époque où les snobs étaient amener à reconsidérer l’électro, comprenant alors que celui-ci allait mener l’industrie à la baguette. Un creux, la fin d’un monde d’excès et d’insouciance, où les fêtes à Los Angeles avaient encore l’allure de vapeurs et de pub Levi’s, épargnées par le tout-internet, le twerk et la morale. Une période où les hipsters existaient (et excitaient), reconnus comme un idéal à suivre. Une décennie également épuisante et qui n’allaient pas tarder à s’évanouir pour laisser place à une autre plus correcte, populaire et interconnectée. Suite au succès de son unique album Sex Dreams and Denim Jeans (la couleur était annoncée) sorti en 2010, courtisé ou conçu aussi bien par les tauliers de la french touch (SebastiAn, Mr. Oizo, DJ Mehdi, Fred Falke, son ex et ex-producteur Feadz, etc., qui se faisaient une joie à triturer sa voix fluette), les dénicheurs de pépites friands en expérimentations hybrides (Pharell ou Giorgio Moroder pour ne citer qu’eux) que les ados en mal de chaleur, Uffie décida d’arrêter de faire valser ses culottes et d’enfiler des aiguilles en soirées vaines. Injectons nous alors une brève piqure de rappel.
Son premier jet était une chronique juvénile, acidulée et débridée, où s’y mêlaient pop pour midinettes en feu, électro tape-à-l’œil mais guindé, rap sous dub et autotune extatique. Considéré à l’époque comme un des albums dance les plus innovants de la décennie, il définissait les codes d’une nouvelle ère qui allait suivre. Le clip du génial Pop The Glock s’apparente aux tribulations de la jeunesse dorée de l’époque, d’ailleurs excellemment décrites dans The Bling Ring de Sofia Coppola ou certains métrages de Larry Clark, faites d’ennui d’après-soirée s’écoulant à flot et de galeries sans fin de fringues. La période MTV pré-PC où bling-bling et passes-droits s’apprêtaient à être enterrés par la crise des subprimes. Le morceau allait être aspiré par la pompe à idée Ke$ha, avec son plus conciliant TiK ToK. Arrivent alors les années 2010 et Uffie annule son second album, dans un état exsangue, pour s’essayer à la stabilité de couple. La débauche du train de vie (nos coquins français y ont-ils jouer un rôle dedans, connaissant la tournure des premières tournées avec Justice ?) fut tel qu’un biopic en 2014 fût considéré… alors qu’elle n’avait que 27 ans ! A posteriori, se ranger des voitures ne semble pas aussi cool que les promesses. Après un quasi silence radio, un EP et des sorties égrainant une dizaine de titres passés inaperçus en 2018, mais aux sonorités plus sombres, électro-rock-trip pop, Cool annonce son second « second » album chez Company Records, le label synthpop de Toro y Moy.
Et force est de constater que la Lady Gaga de poche n’a pas retenu vraiment les leçons du ménage. Cool sonne comme un rétropédalage : pétillant, mousseux, avec cette touche légèrement badine qui faisait le charme confidentiel de son précédent album. Comme une petite papillote qu’on gobe pour s’amuser la bouche. Le titre est vraiment pas mal, appréciable. Mais on ne comprend plus vraiment où elle veut en venir, la logique évolutive qu’elle souhaite donner à sa carrière. Car musicalement, c’est un peu comme si elle reniait à présent sa pause maternelle pour un presque retour à la case départ. Même si cette fois, la maturité délaisse les sautillements fougueux d’antan à des trémoussements réfléchis et mesurés. Le morceau sait se tenir, mais n’est-ce pas ce qui faisait tout le charme d’Uffie, de ne pas être sage ? Le clip a, lui, le cul mieux placé entre deux chaises. Alors qu’il nous renvoie aux bons souvenirs de la musique pré-PC de l’époque décrite plus haut, Uffie y apparait sous forme de naïade ennuyée et solitaire, dans un club (évidemment) vide, métaphore d’une solitude mentale. Le violent dilemme a lui le mérite d’être posée dans les paroles : faut-il revenir dans la course, juste parce que c’est cool ? Quitte à être… irrécupérable? D’autant plus qu’elle nous rappelle, avec une honnêteté appréciable, son alcoolisme d’antan et les souvenirs éhontés des lendemains de soirées, tout en évoquant à demi-mots les vicissitudes de la vie familiale qui suivit. C’est le prix d’une renommée apparue trop tôt. L’hésitation est là, et entre les cris de moutards et le saupoudrage de nez, le choix de retrouver une seconde fois une jeunesse sabrée en plein vol est tentant.
Il est fort à parier que Cool sera un single, un des morceaux étendard de l’album, un peu comme l’étaient en son temps Difficult. Quand on sait qu’elle démarra sur les chapeaux de roues en 2005 pour ensuite magnifiquement s’éclipser, laissant sur la touche des Kanye West, Macklemore ou les Daft Punk que l’on aurait amplement envisagé l’accompagner, l’espace d’un titre, le constat d’un certain gâchis s’impose. Car elle avait la carte pour rester dans ce cénacle, une jambe dans l’underground, l’autre dans le mainstream. Espérons que son prochain album nous apporte ce que nous avions tant voulu d’elle.