Sofia Coppola et Bryan Ferry font l’amour pour H&M : direction Avalon (1982)

Marni for H&M (Directed by Sofia Coppola)

Il n’y a encore pas si longtemps, une publicité pouvait nous émouvoir. Dépasser sa simple condition mercantile pour se mouvoir en objet esthétique. Ce fût le cas lors d’une rencontre  imprévisible et éphémère entre Marni et H&M, à l’époque où celle-ci n’avait pas encore foncer, dans un élan mimétique, dans la tendance « United Colors of Benetton » opportuniste, si ce n’est inesthétique. Eh oui : c’est bel et bien H&M, cette énorme marque de prêt-à-porter grand public, honnie aussi bien des mondains (car trop populaire) que des altermondialistes (car trop fast fashion), qui nous mit, en 2013, une brève mais fulgurante, disons-le, claque d’émotions des plus nobles.

À l’occasion de cette combinaison improbable entre la grande maison de mode italienne et la chaîne de magasins suédoise en prêt-à-porter, deux artistes de qualité furent conviés : Sofia Coppola est aux commandes du film publicitaire, ayant apporté avec elle la voix veloutée de Bryan Ferry. Sans eux, le choc esthétique n’en aurait été un. En route pour Avalon (1982).

Lost in dreams

La réalisatrice de Virgin Suicides et de Somewhere empaquète cette publicité en moins d’une minute, avec une série d’images aussi belles que flottantes, où nous y voyons une naïade blonde jouée par la discrète mais élégante Imogen Poots (révélée par 28 semaines plus tard et actuellement à l’affiche de The Father) se plaisant à s’ennuyer dans un fastueux palace oriental. On reconnait là sa sensibilité féminine à filmer les beaux corps et les belles choses, une sentimentalité que l’on aimerait voir chez d’autres réalisatrices, dont certaines, par prudence, préfèrent se calquer sur un cinéma d’hommes. Cette fascination à observer une bourgeoisie ayant le privilège de se morfondre, dénuée de tout jugement moral, elle, reste intacte. Et elle n’appartient qu’à elle. Tout comme cette manie de coller à de belles images, faites de fleurs et de coloris pastel, un morceau de musique pop raffiné et charmeur.

On en vient à penser que Sofia Coppola se rapproche pour beaucoup de son alter ego livresque, Bret Easton Ellis, travaillé lui aussi par les problématiques identiques (The Bling Ring pourrait ressembler à un scénario de lui), mais un Bret Easton Ellis dont l’ultra-violence et la crudité cruelle se seraient évaporées, délaissant la jeunesse dorée vaquer à l’ennui. Sofia Coppola observe celle-ci au microscope, telle une chercheuse, sans haine pour son sujet, mais non sans tendresse non plus. On pourrait d’ailleurs nuancer le propos si l’on évoque les films qui suivront, bien plus dur vis-à-vis de la juvénilité et des femmes (la plupart de ses personnages principaux sont féminins), si ce n’est même audacieux, comme avec Les Proies, film ayant fait grincer des dents plus d’une l’ayant cru gagnée à leur cause, par l’ignominie de ses antagonistes féminins. Cette femme a décidément une paire d’ovaires.

Le parallèle avec Ellis passe encore par le truchement des musiques et leur importance dans l’œuvre des deux, Coppola ayant beaucoup enchassé ses films, comme Marie-Antoinette – reconstitution en costumes  de la vie de la reine, mais d’un brillant fantasmé, exquis pour les yeux – les groupes l’ayant vue éclore adolescente, comme New Order, The Cure ou The Strokes, mais aussi, plus synchroniques, Aphex Twin ou Air, témoignant du bon goût de celle-ci. Complètement émancipée de son père, elle ne garde de lui que son brio. N’oublions pas également que Sofia Coppola partage sa vie avec un membre de Phoenix, Thomas Mars. Mais les vrais coups de foudre platoniques, eux, restent éternels.

La vie de palace

Car il y a bien une idylle musicale entre elle et le beau meneur de Roxy Music, une romance ayant probablement commencer il y a longtemps, bien avant même qu’elle tienne sa première caméra dans ses mains. D’ailleurs, dès Lost In Translation, on y entendait un Bill Murray au naturel patibulaire, et une Scarlett Johansson sur le point d’imploser, défigurez More Than This, lors d’un karaoké tokyoïte imbibé de saké. Alors que dans cette publicité pour H&M, Avalon s’entend ici en première ligne, tout comme les images, dans une splendide nudité, un dépouillement des plus purs. Sans aucun bruit émanant de  ces jeunes adultes que l’on voit s’encanailler et jouer des yeux. S’agirait-il d’une excuse adressée au chanteur qui, par sa musique, aura précipiter nombre de futurs couples vers les vertiges amoureux? Probablement.

À voir la pub, on aurait pensé qu’il existait une version plus longue, un peu comme ce que faisaient Inez & Vidoodh pour Dior. Il semble ici que non. Les images se succèdent rapidement, et pourtant, le climat ambiant de l’oasis marocain s’installe paisiblement. On y voit une jeune femme s’éveiller dans un palais luxueux, empli de gens tous plus beaux les uns que les autres. S’ensuit une multitude de séquences empilées où nous la voyons presque seule faire ce que toute personne, dans ce spleen délicieux qui caractérise tant les moments de farniente des jouvancelles argentées, quand des journées amplement disponibles s’ouvrent à elles. La vie de château, en somme : on s’y promène avec une amie ; on essaie diverses robes florales dans sa chambre, seule, dans l’attente du grand soir ; on se languit à penser à la soirée qui, peut-être, nous amènera à rencontrer le beau garçon entraperçu au bord de la piscine. Et, enfin, on se tourne autour et y déposons un baiser.

Puis, tel Alice, on sort de cette torpeur, se rendant compte que tout cela n’était qu’un rêve, mais on se réveille rassuré par le cadre de l’éveil, car cette enivrante rêverie n’est qu’un avant-goût de ce qui se déroulera assurément.

Les paroles de Roxy Music, plaquées sur cette imagerie, ayant la silhouette d’un songe dans un songe, en viennent presque à nous serrer le cœur. C’est une fête en larmes, mais des larmes pleurant de beauté face à cet alliage de son et lumière. Notons que les imprimés Marni réalisés pour H&M sont épatants pour du prêt-à-porter, floraux et colorés. Évidemment, la maison italienne tenue par Consuelo Castiglioni y est pour quelque chose dans la présence huppée de Sofia Coppola, qui a toujours eu une aura pour la somptuosité. Mais délivrer un tel travail pour du prêt-à-porter après avoir filmé Natalie Portman dans la tout aussi magnifique publicité pour Miss Chanel, et cela la même année, là encore dans un court métrage sans paroles, si ce n’est la renversante Vie en rose de Grace Jones, nous amène au constat suivant : Sofia Coppola est un être humain admirable. Mais revenons à Bryan…

Un été pour Marni

Avalon est une musique qui donne à tout adolescent l’envie de goûter à la séduction, ce tournis qui les fait grandir de quelques centimètres ; Avalon est une musique qui donne à tout adulte de se vêtir avec style, pour chevaucher de nouveau le tigre, ce désir qui résorbe les rides et recolore les cheveux. Outre la musique, nous reviennent la pochette du single et le symbolisme des quelques images du clip original, images nous ayant imprimé la rétine : les talons croisés sous la table ; le plan du faucon tenant dans ses serres une rose ; Bryan Ferry, languide comme un vampire, la caméra coulissant sur son smoking blanc. Des souvenirs ouatés, il ne reste que le beau.

Le clip d’Avalon, tourné en 1982, ne ressemble a priori pas à la publicité deluxe de Sofia Coppola, si on excepte le château et sa dimension onirique. Et pourtant, les paroles, concentrées et légèrement abstraites du gentleman Ferry font aussi bien corps avec les deux, les faisant dialoguer à près de trente ans d’intervalles :

Now the party’s over, I’m so tired
Then I see you coming, out of nowhere
Much communication, in a motion
Without conversation, or a notion

On ne peut difficilement communiquer mieux avec les images de la fille Coppola. On aimerait que toutes les publicités fussent aussi belles. Ou plutôt, qu’elles redeviennent belles. Que les marques cessent de faire des discours politiques auxquels elles prétendent croire, pour se borner à ce que nous voulons d’elles : leur plastique. Nous voulons rêver en achetant, et non acheter en pleurnichant. Avalon, tiré du 8ème album éponyme du groupe, a quelque chose de langoureux comme lorsque l’on s’offre au soleil, au bord d’une hacienda. Un état de quiétude lassive et heureuse, confiante en l’avenir. Le saxophone ravageur et les voix féminines achèvent de nous faire monter au ciel. Vaporeuse, les guitares se diluent comme les palmiers ondulent, la canopée plongeant dans un oasis couleur feu crépuscule. La publicité se termine sur ce plan sur-mesure, avec le logo d’une marque que l’on a jamais vu aussi bien drapé. La beauté a cette chose d’être virale! C’est sans doute une illusion, mais une illusion belle.

On a toujours été injuste vis-à-vis de Roxy Music, que la presse a beaucoup restreint à un groupe pour midinettes. Bryan Ferry est plus qu’un séducteur à l’eau de rose. C’est un chanteur qui nous fait frôler des chimères du bout des lèvres. On a envie de replacer l’aiguille au début du vinyle, et de vivre éternellement ainsi. Outre le fait de nous faire tomber amoureux d’une marque, Avalon a cette indéniable qualité : nous faire croire en la possibilité d’un royaume restreint, où réside encore un certain sens de la grâce.

Capture d’écran vidéo YouTube

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Dorian Fernandes
[Playlist] – Eurodance : Fitness, Fêtes and Foot
[Ep. 1/3]
L’Euro 2021 est donc enfin lancé ! Une bonne raison pour se...
Lire la suite
Join the Conversation

4 Comments

  1. says: Li-An

    Beaucoup de texte pour un grand vide. Bravo au rédacteur car il faut un certain talent pour sublimer le rien (et les grosses boîtes de prêt à porter vraiment ripoux – et je ne suis même pas altermondialiste ni même snob). Reste la musique de Roxy.

    1. says: Dorian Fernandes

      Merci pour votre commentaire ! Le but était de prendre une publicité mettant en valeur un titre pop connu. Peut-être est-ce parce que je l’ai vu sur grand écran (je n’y avais d’ailleurs jamais entendu ce titre de Roxy). Le texte est long, certes, mais je ne pense pas qu’il comble tant de vide que cela, car j’ai tenté de tisser une toile dense entre la manière dont Sofia Coppola utilise la musique dans sa filmographie, le titre Avalon et le clip de Roxy Music. D’ailleurs, si l’on se penche sur les paroles, je trouve que cela se marrie vraiment bien avec le film publicitaire (contrairement à d’autres), fidèle à l’esprit de celles-ci. Bryan était d’ailleurs dans sa période glamour, où il cherchait des sonorités fiévreuses et évanescentes. J’ai essayé d’écrire ce que certains peuvent ressentir au contact de cette musique : ce sont ces petits riens qui font les grands tous, non?

      Ayant connu le milieu marketing et publicitaire, je peux vous assurer objectivement que c’est le haut du panier en termes de pub. D’autant plus aujourd’hui, c’est constatable par tous. Quant à H&M, c’est vrai que ce n’est plus ce que c’était (avec le scandale des petites mains en Chine), mais ils vont rapatrier des usines, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. J’ai toujours eu un faible pour leurs pantalons et chemises colorés, ado.

      Eh oui, vous avez raison : reste la musique de Roxy, impériale…

      1. says: zimmy

        @Dorian:
        J’espère que que vous lirez ça, l’article étant ancien. Vu. Comme cinéphile c’est le premier machin de Sofia Coppola que j’apprécie depuis une éternité (j’aime ses deux premiers films, that’s all). Parce que ça réussit par la mise en scène (et la combinaison des images et de la musique) à produire quelque chose de vaporeux. Mais en disant ça je comprends mieux pourquoi elle n’a pas duré en tant que cinéaste: il est difficile de construire une oeuvre uniquement sur la vapeur et l’éphémère.

        1. says: Dorian Fernandes

          Zimmy, oui : je suis d’accord avec vous. La fille Coppola a dès ses premiers films très bien su entremêler ses belles images avec la musique qu’elle aime (j’insiste dessus). Comme ses truismes ont toujours été l’ennui bourgeois à l’adolescence ou à l’âge adulte, cela donne ce côté spleenitique et gazeux, et cela dès « Virgin Suicides » ou le Tokyo de « Lost In Translation ». On ne tombe jamais dans le clippesque désincarné. Je l’avais découverte avec son sublime « Somewhere », en 2010.

          Par contre, elle continue son bout de chemin. Pour moi, elle est une des réalisatrices les plus importantes de ces 20 dernières années. Ses derniers films au cinéma étaient assez bons (« The Bling Ring », « The Beguiled ») et elle a sorti un film avec Murray, « On The Rocks », sorti chez Apple TV+. Elle a toujours la côte, je vous rassure.

          N’hésitez pas à aller voir la réponse que je vous avais faite sur le cas « Simpson et Morrissey ».

Leave a comment
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *