Chaque album de Tristesse Contemporaine est une découverte et une révélation. Révélation sur la capacité de ce groupe assez improbable à se renouveler et à fonctionner avec autant d’inventivité, disque après disque, et depuis plus de 10 ans. Le premier album était cold wave, le deuxième plus électro-pop, le troisième quasi kraut et expérimental et ce nouvel essai, United, invraisemblablement dansant et varié. Les deux points communs de ces quatre disques sont qu’ils sont tous excellents voire exceptionnellement stimulants, et qu’ils sentent la liberté à plein nez. United ne fait pas exception et c’est une demi-découverte : Tristesse Contemporaine transpose ses immenses qualité, sur ce disque, dans un environnement débridé, festif et insensé.
La sortie ces derniers mois de quelques singles nous avait mis sur la piste mais on n’avait pas mesuré à leur contact jusqu’où Tristesse Contemporaine avait décidé d’aller dans la voie de la diversification. United constituera un choc pour certains, précipitera peut-être un divorce (définitif) pour d’autres mais c’est un album passionnant, foisonnant et brillant à bien des égards. Il constitue en substance une remarquable tentative d’explorer TOUT ce qui fait la modernité musicale et sonique de l’époque, depuis la dancepop la plus échevelée et avancée de Rude!, jusqu’au trip(le)-hop altéré de la remarquable entame Nothing Left To Win, en passant par la pop japonaise d’un Midori ou les sonorités reggae/dancehall de Rock This Town. Tristesse Contemporaine est aussi rock, soul, hip-hop et tout cela en même temps et à la fois, ce qui représente un véritable tour de force mais met également les oreilles à rude épreuve.
Selon ce qu’on est capable de soutenir en matière d’agitation frénétique et sa sensibilité personnelle, on ne les suivra pas sur tout : Rude! est une chanson « de genre » que certains pourront trouver trop…. trop tandis que beaucoup s’arrêteront sur l’électro-trash d’un Do Nothing primitif et sauvage, emballé en deux minutes pourtant exemplaires. United évolue parfois aux limites du bon goût et s’affranchit généreusement de ce qui est….admis. Popstar, par exemple, est un grand single malade, émouvant et joyeux, qui pousse dans ses retranchements le modèle d’une pop internationale, stylée et syncopée. Dans ce délire vivant et remuant, pétillant et outrancier, on retrouve le goût de Tristesse Contemporaine pour les « ambiances » et la création d’environnements sonores. United comme Stop and Start avant lui n’est pas tant un disque de mélodies qu’un disque de sons, de genre (série Z) et de climats musicaux. L’immersion est radicale, bluffante et la projection dans les paysages créés par le groupe avec son 4ème homme LewisofMan une source d’émerveillement et de stupéfaction. On aime se perdre dans l’électro rétro d’un Running ou abandonner tout repère dans le remarquable XRaver, bouclant l’écoute un brin étoudi par le rythme et la fantaisie du tout.
Si les voix sont aussi à la fête ici (avec le rôle majeur donné aux femmes dans les chœurs et le contrepoint au chant principal sur plusieurs plages), l’unité du tout est assurée par la mise en avant de toute la palette du chanteur Mike Giffts, véritable ludion chantant et protéiforme du disque. C’est lui qui s’amuse à passer pour Prince sur le très Purple Rain, Forget qui termine de manière splendide l’album, lui qui rappe et claque sur le mécanique England ou encore lui qui fait presque tout le travail sur Rock This Town ou Do Nothing. Connecté comme jamais à ses racines, Giffts semble s’amuser comme un fou à rejouer toutes les incarnations possibles du reggae man de dancehall, passant sans prévenir du soul man au rappeur cabotin. Que sa voix se dédouble ou se transforme artificiellement comme sur Nothing Left To Win ou évolue dans deux ou trois registres à la suite comme sur Sly Fox, Giffts est omniprésent même si souvent soutenu par d’autres. Là encore, c’est à quitte ou double : ceux qui, comme nous, le suivent aveuglément et avec passion depuis très longtemps seront ravis et transportés par l’idée de le voir passer par tous les états, tandis que certains trouveront cela too much.
Sans doute faut-il aussi s’arrêter (ce qu’on ne fait pas assez) sur la qualité des textes du chanteur qui entonne souvent des vers/phrases à la portée quasi prophétique et à l’engagement générationnel. Tristesse Contemporaine, à la sortie du Covid et au cœur d’une période de « troubles », crée un disque patchwork qui appelle à l’auto-abrutissement, à l’anéantissement par la fête, un disque qui dit la perte de repères et le manque de boussole.
Always going left to right
Blank generation lost all sight Now we got ’em all hypnotized No woman, no man can run these skiesEntend-on sur Rude!.
We’re living in a world
Made of concrete
You can always find us
In the cheap seats
And now we’re pretending
That we’re on the beach
We try and touch the sky
But it’s out of reach
Chante-t-il sur XRaver. C’est à la fois sec, poétique, précis et dramatique.
United est un disque qui se danse et s’écoute avec la même intensité, un disque aussi stimulant et parfois repoussant que l’époque, mais avant tout une création musicale aventureuse et colorée de premier plan, aboutie et inédite. A l’image de son drapeau fédérateur et bigarré, et de son titre qui est aussi le single le plus sexy des affreux Throbbing Gristle, Tristesse Contemporaine n’a jamais aussi bien/mal porté son nom.