Il faut parfois peu de choses pour réussir un album. Tout est d’histoire d’équilibre, de grâce parfois. About Luke est le premier projet solo d’une chanteuse française, bretonne établie à Paris. Julie Roué a une trentaine d’années et évolue depuis quelques années dans l’univers de la composition musicale. Elle travaille sur des bandes-son, des musiques de films, de séries. Sur l’argumentaire qui a servi de base à la campagne de financement de son premier album, elle explique que les douze chansons qui composent ce premier album ont été écrites entre la Bretagne et New York et qu’elles parlent majoritairement d’amour, d’absence et d’autres choses finalement assez classiques et convenues, lorsqu’il s’agit d’écrire de la pop.
A la première écoute, on n’est pas ébouriffé par la qualité des compositions (à l’exception de quelques-unes cependant, comme Dont Let Me Be Your Nobody), ni même par la présence de la chanteuse, sa voix, son engagement. On n’est même pas certains d’aimer vraiment le genre électro-pop quelque peu apaisé et douceâtre dans lequel About Luke a choisi d’évoluer. Les titres sont simples, légers comme une bulle d’air, soutenus souvent par un tapis d’électro acoustique charmant et qui n’agresse jamais l’oreille. Cela ressemble parfois à du Emilie Simon, parfois à Keren Ann, en un peu moins dense. C’est moins poétique que du Pauline Drand, un peu plus gai et animé. Daddy’s Down a de faux airs exotiques, de balade jazzy. On se croirait dans une version light de Hater. C’est sensuel et un peu kitsch avec parfois des « ououu » qui traînent derrière les mots. On se dit qu’About Luke est le genre de groupe qu’on adorerait voir par hasard dans un bar et que ce serait alors à peu près la seule chance qu’on s’en entiche. Il y a dans cette musique un caractère instantané et périssable qui en fait le charme. Il est assez probable qu’on ne passe pas notre vie avec ces chansons mais elles apportent au fil des écoutes un réconfort bienvenu et un sentiment de bienveillance qui nous va bien. Turn Me On est une chanson bizarre où l’on entend la basse des Young Marble Giants et des accents de soul contenus. The Photographer est un des morceaux les plus réussis de l’album. C’est techniquement de la pop chichiteuse mais Julie Roué la chante avec une fraîcheur indéniable et comme si rien d’équivalent n’avait été enregistré avant. « So much beauty how can it be that i am so alone ? », interroge la chanteuse. « Sometimes i think about you. Do you think about me ? » Difficile de faire plus convenu mais cela fonctionne à merveille sur l’équilibre entre une voix à la féminité régressive et des arrangements plutôt imaginatifs.
On retrouve cette presque naïveté touchante sur I-you ou sur la voix qui traîne et les gammes descendantes de Three Songs. Certaines titres marchent mieux que d’autres. On a un peu de mal sur le maladroit How To Swim qui s’agite plus qu’il n’entraîne, mais le dernier tiers de l’album taquine le sans faute en mêlant pop susurrante et saillies expérimentales. My Body Is Not Mine manque de punch mais Fall Again est magnifique. Julie Roué sonne l’espace de 2 minutes 30 comme une Beth Gibbons de porcelaine ou une réincarnation tardive de Molly Drake (la maman de Nick). C’est dans cette simplicité assistée qu’About Luke est finalement le plus efficace. Travel Light est une petite merveille pop sur fond de faux rythme rumba. Red est assez chouette et Walking With The Moondog, une vraie réussite qui vient conclure ce programme en beauté. On imagine que ce dernier morceau a été écrit à New York en hommage au clochard viking. Le titre est à lui seul une bonne inspiration et son exécution assez formidable. Il y a un peu de Moondog chez About Luke, cette idée de flotter dans l’air et de ne faire que passer, cette manière de déposer sans avoir l’air d’y toucher de petites notes ou de petits aplats d’émotion dans l’oreille d’un auditeur presque indifférent. La seconde partie du morceau « écrite à la manière de » est formidable. Les notes s’accrochent et persistent bien après la fin du disque, elles sont là et résistent à l’oubli comme la trace quasi invisible d’un parfum porté du matin.
About Luke fait partie de ces petits presque rien qui rendent la vie plus douce. Ce ne sont pas des chansons qui changent la vie ou entraînent des vocations. Ce sont des chansons qui agissent comme un café chaud, une tape amicale dans le dos ou un baiser sur la joue. Des trucs qui n’ont pas vraiment d’importance mais qui sont à leur manière indispensables à notre survie au jour le jour.