David Fakenahm / Landscapes
[Autoproduit]

8.7 Note de l'auteur
8.7

David Fakenahm - LandscapesDavid Fakenahm fait partie des artistes qu’on fréquente et qu’on écoute plus qu’on en parle. Cette catégorie assez particulière n’est pas fondée uniquement par notre négligence mais par une caractéristique propre à leur musique (que d’aucuns qualifieront de manque de charisme) et qu’on désignera plus justement comme une modestie embarquée ou discrétion naturelle qui les prive de notre usage immodéré des superlatifs. C’est évidemment un non-sens si l’on considère qu’on place dans ce regroupement des types aussi cool que le Canadien Paul Heyden Desser, Neil Young ou, en haut de liste, un Malcolm Middleton qui n’aurait jamais joué dans Arab Strap. David Fakenahm ajoute à cela une propension à l’éclipse (il a laissé sauf erreur de notre part quasiment dix ans avant de revenir aux affaires l’an dernier avec le superbe Family Tree, au motif sapin et à la mélancolie empruntée à Nick Drake) et évidemment un statut d’artiste auto-produit qui n’aide pas à gagner en visibilité. Il n’aura échappé à personne que ces types qu’on néglige viennent du Canada, d’Écosse ou d’Orléans, c’est-à-dire d’endroits auxquels on n’associe pas spontanément les adjectifs hype, cool ou funky.

Ça tombe bien car Landscapes, s’il est assez cool, n’a à peu près aucune chance de mettre le feu aux supermarchés. C’est un disque de pop contemplative, splendide et aux résonances forestières qui renvoie à la simplicité classieuse de son titre : Landscapes. On retrouve du reste ce souci de la concision dans l’énonciation aussi bien dans les titres de chansons, les textes que les arrangements. David Fakenahm reprend le dispositif léger et élégant du disque précédent, se reposant entièrement sur la qualité des chansons qu’il nous propose. Et c’est ce qui frappe ici tout du long : un songwriting inspiré, qui mêle contemplation du réel (les bois, les forêts, la vie) et la description des échos (souvent nostalgiques) que le regard qu’on porte sur lui nous inspire. Fakenahm entre en scène sur un Draught étrange et paradoxalement peu assuré (« Hello it’s me again« ), comme s’il n’était pas tout à fait certain de vouloir faire le disque. Le jeu de guitares a le temps cependant de nous faire penser au Sophia de Robin Proper-Sheppard, dans une version moins conquérante et plus timide. On retrouvera ce mélange de fragilité et d’incertitude sur I Will Follow d’apparence bravache où le narrateur égrène toutes les choses dont il ne craint rien, finissant, évidemment, par nous donner l’impression qu’il se cache une bonne dose de frousse derrière cette liste d’araignées, d’insectes et de conquêtes. Le titre est impeccable et est suivi par un plus classique mais tout aussi gracieux My Memories.

David Fakenahm parle avec aisance de l’amour, de la façon dont il le respire et le poursuit. Cet amour est parfois vivace mais souvent recherché ou l’objet d’un re-souvenir qui conduit à mêler l’enthousiasme d’une guitare folk et baladeuse et une certaine tristesse dans la voix. Il y a un magnifique suspense sur A Year qui dissimule avec sobriété, ce qui s’est passé… il y a un an. On pense cette fois aux compositions à trou d’un Bill Callahan, à ses non-dits remarquables et qui laissent la place à toutes les interprétations. Fakenahm se hisse parfois à ce niveau là et réussit assez souvent à s’y maintenir. La production s’enrichit sur le joli A New Home, bucolique et américain. L’orientation folk est plus prononcé et l’on glisse de l’univers vert de la pop, à celui plus inquiet et désert des plaines. La chanson se termine en mode instrumental pour une séquence émouvante et dont on ne sait si elle exprime la joie ou la solitude.

Landscapes est un disque magnifique parce qu’il exprime une grande complexité de sentiments et d’émotions de manière limpide et très simple. C’était le cas de Family Tree mais on a le sentiment que Fakenahm le fait ici avec encore plus de facilité. The Same Mistake est la plus belle chanson de Will Oldham depuis un bail et on croit retrouver des traces lointaines de l’ambiance au sable et aux larmes d’un West Palm Beach sur Miss The Sun. On reprochera juste à la voix de David Fakenahm de manquer parfois un peu d’intensité et d’ampleur pour conférer à certains morceaux plus de tranchants et de vivacité. Cela manque un peu sur Storms et se fait sentir aussi sur un Today qui, pour cette raison, ne va pas aussi loin et surtout haut que la composition aurait mérité. Mais c’est un petit détail qu’on oublie très vite sur le final impressionnant, The Top. La balade est cette fois électrifiée et sombre, accompagnant le voyage jusqu’au sommet de ce qui ressemble quand même à une dégringolade.

Landscapes est un disque somptueux, imposant et qui permet à Fakenahm de gagner son rond de serviette parmi les grands négligés de l’art pop folk, de l’expression désolée et intériorisée du sentiment amoureux. La compagnie est rude et pas toujours rieuse, mais elle est précieuse et rare.

Tracklist
01. Draught
02. I Will Follow
03. My Memories
04. A Year
05. A New Home
06. The Same Mistake
07. Miss the Sun
08. Storms
09. Today
10. The Top
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