On s’est si souvent ennuyé avec le rock français qu’il ne faut pas faire la fine bouche quand on tient quelque chose d’aussi puissant, structuré et enlevé que cet album de DaYTona. Le groupe lyonnais n’est pas vraiment une découverte, même si après plus de quinze ans d’activité, il ne compte à son actif que quatre albums. Son deuxième LP, La Peau Douce, était tombé à un moment où le rock français avait plutôt le vent en poupe. Avec Dolly, Luke et quelques autres, s’était imposée une génération rock à guitares solide et appliquée qui, à défaut de révolutionner le genre, avait offert au pays une déclinaison tout à fait respectable et adaptée à notre langue des codes anglo-saxons. DaYTona n’a étrangement pas eu plus d’écho que cela à l’époque mais a récidivé en 2010 dans un registre similaire, engagé et indé, qui s’apprécie d’autant plus près de dix ans après qu’il occupe un espace ultraminoritaire du marché. Leur quatrième album est une collection de chansons épatantes, crâneuses et sociales, qu’on croirait venues tout droit du début des années 2000.
L’allégresse reprend quelques morceaux qu’on avait croisés en EP il y a quelques années comme l’excellent Morceaux de Lune, un splendide brûlot rock qui évoque le temps où Miossec était encore capable de ruer dans les brancards. C’est d’ailleurs dans ce registre un brin éraillé et « colère » qu’évolue parfois le chanteur à l’image d’un J’emmerde anti-règles et dirigé contre l’ennui ambiant. « J’emmerde la prudence qui s’égrène, l’insouciance qu’on sème dans un champ de pierres. Dans mes larmes, je me noie mais je n’ai plus de peine….. » DaYTona mêle la colère des années 2000 et une forme d’ennui et de désenchantement plus conforme à notre époque désolée. Cela donne beaucoup de titres réussis et élégants dans un registre très « rock indé » à double détente qui fonctionne musicalement et sur les textes à travers le séquençage de formules et de séquences rythmiques déjà entendues ailleurs. C’est le cas du très beau Courir, l’excellent morceau d’ouverture dont on a le sentiment d’avoir déjà entendu (et attendu) la progression de guitares mille fois avant mais qui n’en est pas moins impeccable. « Faire le tour de la terre/ Creuser dans les rivières/ Que le soleil emporte/Sur la grande muraille/ Seules des ombres chinoises/ Planent sur ma tête/…/J’aurais voulu te voir/ Quand on a pris les armes/ Courir de mon côté. » Les textes sont poétiques, empreints de valeurs de résistance, de noblesse et d’éthique qu’il est presque impossible de ne pas partager.
On ne peut, de la même manière, qu’être touché par la justesse et l’ambition de Les Promesses, morceau à la fois combatif et résigné qui définit assez bien le genre dans lequel évolue le groupe. DaYTona livre avec Malmö un instrumental remarquable et dont on aurait bien fait, avec ces 5 minutes et quelques, notre morceau préféré de l’album, si on ne craignait de blesser le chanteur JL, l’une des principales attractions ici. Celui-ci fait le travail à peu près partout ailleurs comme sur le bien triste Par Erreur où son chant appliqué et en-dedans colle parfaitement au ton du morceau. « Tous ces rires ne pourront pas guérir une blessure éternelle. Par douceur. Par erreur. », chante-t-il comme s’il allait s’effondrer, avant de repartir sabre au clair et empli d’émotion sur le sonique Ma seule héroïne, chanson encuivrée d’une belle tenue qui parle de l’amour de ses enfants (et de sa fille en particulier). Qu’il évolue dans un registre uptempo (Sois Belle… « et consomme ») ou au ralenti (Des Etoiles en bandoulière), le groupe est irréprochable, déroulant son indie rock comme sur une autoroute à l’anglaise. Rapide puis lent, confessionnel, rageur, ardent et mélancolique, l’Allégresse ressemble à une maison-témoin où tout est bien en place et sonne exactement comme il faut. Des textes bien pesés et aériens aux moutons dans le coin du studio, tout est agencé avec le plus grand soin. C’est dans ce sens du détail et cette adéquation parfaite à ce qu’on s’attendait qu’elle soit que la musique de DaYTona trouve peut-être sa seule faiblesse. Il manque parfois pour franchir un cap, un brin de spontanéité, une formule qui tue, et une capacité à dérailler qui font le sel véritable du genre. A l’instar d’un Matthieu Malon dont la fébrilité punk lézarde les morceaux, de l’instabilité paradoxale dans laquelle évoluent les Murat ou autres Dominique A, DaYTona renvoie une telle maîtrise de son sujet et de son périmètre d’évolution qu’on regrette qu’il n’ait pas aidé lui-même à déranger l’édifice ou à se déporter aux limites de ce qu’il sait faire.
A cette réserve près, l’Allégresse est un album qu’on recommandera les yeux fermés aux amateurs, aux nostalgiques de Noir Désir et d’un certain âge d’or du rock français. Il faudra s’en souvenir quand les guitares auront cessé d’exister : ces machins-là étaient d’hier et d’aujourd’hui.