Stephan Eicher / Ode
[Universal Music Division Barclay]

9 Note de l'auteur
9

Stephan Eicher - OdeLe duo composé de Stephan Eicher au chant et à la musique et de Philippe Djian aux textes nous livre avec ce nouvel album du Suisse, Ode, le parfait exemple d’un disque de chanson française réussi et ce qui restera sûrement l’une de leurs collaborations les plus brillantes. Ode a tout pour lui à part peut-être une pochette intéressante. De l’émotion, de la vivacité, de la variété et une qualité d’écriture extraordinaire. Sans contact est une splendide chanson d’ouverture qui nous met d’emblée dans d’excellentes dispositions. L’orchestration est millimétrée et l’état d’esprit assez similaire à ce qu’on avait encensé en causant du dernier disque de Marble Sounds : exprimer ce qu’on a en nous d’humanité (après la crise sanitaire, etc) avec une forme de sincérité et de franchise, servies par des arrangements menés au piano qui sont parfaits pour ça. Le Plus Léger au Monde parle d’un type qui retrouve le goût de vivre après ce qu’on suppose être un long coma et c’est une chanson extraordinaire et belle comme la vie qu’elle décrit. Ce titre est un tube et mériterait d’être diffusé vingt fois par jour en radio. Le texte de Djian est aux petits oignons et interprété à merveille par un Stephan Eicher qui évolue avec une souplesse et une assurance remarquables.

Ode est un disque joyeux et pétillant, à l’image d’un Ne Me Dites pas Non Part 2 qui n’aurait pas fait tâche chez Yannick Noah. Mais il y a évidemment beaucoup mieux que ça ici, comme l’énigmatique et plus sombre, Autour de Ton Cou, où des synthés vintage viennent créer une menace sourde et qui mime le geste d’étranglement suggéré par le titre. En Allemand sur Lieblingläbe (Amour préféré) en mode quasi acoustique ou en français sur l’électrique Doux Dos, Stephan Eicher chante les relations humaines comme personne. L’inquiétude qui découle de l’état du monde fragilise les rapports entre les êtres en même temps qu’elle les réduit/concentre sur l’essentiel. Sous la plume de Djian, ces idées sont énoncées chez Eicher avec une élégance et une simplicité dans l’expression qui évitent soigneusement les poses artificielles et le ridicule qui émanent souvent de la variété française. Eicher est économe de ses effets et construit ses titres avec un plaisir évident et une ouverture permanente sur d’autres sons. Il enrôle une chanteuse japonaise Yuuko Sings sur Où sont les clefs ?, chanson littéralement fourre-tout sur le monde devenu fou, l’absence de sens/clés mais aussi l’addiction aux médocs, les plats préférés et le marché de l’art contemporain. 

La poésie qui se dégage d’Ode est à la fois « de son temps » mais en même temps suffisamment abstraite et dégagée des contingences pour tendre à l’universel. Difficile de résister à l’Eicher dépouillé et économe de A Nos Coeurs Solitaires, chanson merveilleuse d’équilibre et que neuf chanteurs sur dix auraient précipité dans la guimauve ou un fossé outrancier. Eicher se tient sur la ligne de crête mainstream et la termine avec brio en mode flonflons cuivrés comme plus jamais Polnareff n’en sera capable. Je te mentirais disant est rien moins que la plus belle chanson du disque :

Je te mentirais disant
Que je suis à la fête
Je te mentirais disant
Que je n’tiens pas à toi
Dieu sait comment je voudrais
Retenir tes rêves
À tes sourires de fille
À tes airs triomphants
Mais combien d’accords avons-nous passés
Toi et moi?
Combien de serments bafoués ?
Combien de ces faux pas ?

On peut difficilement faire mieux que ça mais le final n’en est pas loin avec la magnifique Rêverie et ses rythmiques feutrées et martiales qui l’emportent sur la fin. Eicher évolue entre emphase et poésie, passant d’un univers onirique et sentimental à une sorte de critique politique ou de peur du lendemain qui élève sa variété à un niveau d’intérêt bien supérieur au tout venant de la chanson française. La chose est faite avec un tel naturel et une telle fluidité qu’on ne peut que s’extasier devant cette collection de douze titres dont les deux tiers avaient déjà été proposés en 2 Eps distincts. Entre Brel et Arno, Eicher surprend encore sur Orage, chanson à la dernière minute instrumentale passionnante, avant de tirer sa révérence sur le lumineux et romantique Eclaircie, dernier joyau d’une Ode magistrale de bout en bout.

Ode est un grand disque, inspirant et inspiré, emballant et profond comme le vent, l’un de ces disques rares qui s’adressent à tous et à chacun. Il ne faut pas passer à côté.

Tracklist
01.Sans Contact
02. Le plus léger au monde
03. Ne me dites pas non Part 2
04. Autour de Ton Cou
05. Lieblingläbe
06. Doux dos
07. Où sont les clefs ?
08. A nos Coeurs Solitaires
09. Je te mentirais disant
10. Rêverie
11. Orage
12. Éclaircie
Écouter Stephan Eicher - Ode

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