Douglas Dare est un homme discret et patient. Humble aussi. Il préfère laisser l’auditeur s’immerger dans son univers grâce à sa musique plutôt que d’en donner les codes d’accès en répondant à des médias de toute façon trop paresseux pour s’intéresser à ce qu’il fait. Malheureusement, dans notre monde de surexposition médiatique où être vu / entendu importe plus que ce qui est exprimé, le sort d’un tel artiste est inéluctable. Et ce n’est pas de clamer ici, comme sur tous les webzines bien entendants, à quel point son deuxième album est un chef d’œuvre, que sa notoriété et son statut d’artiste confidentiel changeront. De toute façon, même parmi les gros consommateurs de musique, Douglas Dare reste un secret peu partagé et il n’a rien, il ne fait rien, pour bénéficier d’un effet de mode. Certes, les aficionados du label classieux et (néo)classique Erased Tapes n’ont certainement pas raté Whelm, son premier album publié en 2014. Mais le public touché ne doit représenter dans le monde que le dixième de la jauge moyenne d’un seul concert de Coldplay. Les circuits médiatiques de masse et le manque de curiosité généralisée sont d’une désolation absolue.
Mais si tant est que quelques-uns liront ces lignes, on voudrait leur signifier (et bien sûr les convaincre) à quel point cet album de Douglas Dare est magistral. Oui, comme Whelm dont la portée onirique reste inusable après un nombre incalculable d’écoutes. Il n’y a pourtant jamais de coup de foudre dans un album du Britannique. En revanche, il s’en dégage une aura rayonnante, enveloppante, fascinante qui place ses œuvres au-dessus de la mêlée, qui surpasse le quotidien. Sur Aforger, le jeune compositeur signe des compositions d’une blancheur crépusculaire, entre solennité et intimité. Dare chante intelligiblement ses doutes, ses aspirations, ses maigres certitudes. Sans grandiloquence et avec pudeur. Ce sont parfois seulement une succession de mots. Un par ligne, un à la fois, tant chacun est lourd de sens. A cet égard, Thinking Of Him, dans sa dimension dramatique, ou A Poem For A Forger (qui poursuit la ferveur de Rex jusqu’à l’extinction) sont puissamment évocateurs. Le single Doublethink et Oh Father, pour ne citer que les deux chansons les plus immédiates de ce disque long en bouche, sont de véritables poèmes aussi simples que perforants. Les compositions s’articulent pour la plupart sur un piano qui ne connaît jamais l’emphase et converse avec une structure électronique sensible. La production de Fabian Prynn est d’ailleurs parfaite. C’est à la fois simple, dépouillé et d’une grande puissance orchestrale. Comme pour le choix des mots, Douglas Dare privilégie toujours la justesse, la retenue (il y a pourtant sur certains morceaux un chœur d’une dizaine de personnes, du saxophone, de la trompette, des violons, des guitares…). Cela donne à son deuxième album sa dimension atemporelle, classique, imparable, tant rien n’est superflu ou superfétatoire. Comme ses compagnons de label Nils Frahm ou Olafur Arnalds, Douglas Dare n’est pas de ces musiciens qui s’imaginent être créatifs en pillant la discothèque de leurs aînés mélomanes.
Derrière ses airs torturés, ses allures romantiques et androgynes, et son univers esthétique étrange voire paranormal, c’est la beauté dans l’équilibre, la majesté et la grâce dans l’épure comme ces bâtiments aux proportions parfaites, lorsque l’architecte a trouvé le chiffre absolu, le bon rapport entre les pleins et les creux, le barycentre entre les droites et les courbes.