Les modes vont et viennent. Il fut un temps pas si lointain, à la fin des années 90’s, où sur la frange ascétique du post-rock, aux confins de l’électro le plus éthéré, s’est développée une scène féconde autour de Biosphere qui œuvrait déjà depuis 1990 et dont l’album Substrata (1997) reste une pierre incontournable, et de Pan American, le projet mené par Mark Nelson qui avait déjà ouvert beaucoup de portes avec Labradford. Le mexicain Murcof et le canadien Loscil ne tardèrent pas à suivre leur sillage, en se lançant à l’aube des années 2000. Tout ce monde-là a été sollicité pour composer des musiques de films et leurs compositions instrumentales, « neo ambiant » ou « techno dub », la terminologie diverge et fait toujours débat, furent souvent utiliser pour des campagnes de publicité.
Et puis le vent a tourné et un grand revirement s’est opéré au profit de consonances bien plus organiques mais en reprenant peu ou prou les mêmes codes et une posture artistique analogue. Une bonne partie des adeptes d’ambiant sont désormais sensibles aux artistes « neo classical » (enfin, on devrait même dire « néo néo classiques », puisqu’ils s’inspirent des artistes du néoclassicisme comme Igor Stravinski, Maurice Ravel, Francis Poulenc et le plébiscité Erik Satie). L’un des précurseurs dans le genre reste Max Richter, mais Nils Frahm, Ólafur Arnalds et feu Jóhann Jóhannsson lui ont volé la vedette.
Dans ce contexte, l’œuvre d’Earthen Sea parait à contre-courant voire même incongrue. Loin de ces amours de jeunesse hardcore (il a notamment joué dans Amalgamation, Black Eyes, Mi Ami, Skate Laws, etc.), Jacob Long s’astreint à l’art de la soustraction. Cette économie de moyens fait office de manifeste chez lui. C’est assez naturellement, qu’après 5 ou 6 albums pour des structures confidentielles, il a rejoint l’écurie Kranky. Son nouvel album, Grass And Trees trouve ainsi sa place aux côtés aux productions de ses contemporains Grouper, MJ Guider, et A Winged Victory For The Sullen, mais plus encore les anciens Bowery Electric et… Pan American.
La musique de l’Américain est une invitation à l’évasion des songes, une suggestion de voyage imaginaire.
Un beat minimal rebondit en ricochet à la surface d’une eau parfaitement calme et lisse, dessinant des ondes électroniques qui s’évanouissent sur le rivage. Un crépitement se perd dans le feuillage de la canopée. Le vent déchire le voile du blizzard sur un océan de glace. Une bille fait onduler une grande lame d’acier posée en équilibre en haut d’une construction vertigineuse. L’approche d’un reptile sur le sable provoque l’accélération des pulsations arythmiques du cœur avant qu’il ne s’éloigne et qu’une apathie létale nous terrasse. Les flammes s’élèvent dans la nuit, la chaleur rayonnante du feu de camp réconforte. La ville, rendue minuscule par l’altitude, fourmille frénétiquement jusqu’à s’éteindre alors qu’un métronome décompte le temps qui passe.
Le casque sur les oreilles, enfoncé dans le canapé et les yeux fermés, il n’y a plus qu’à se laisser (trans)porter.