Nick Banks / So It Started There : From Punk To Pulp
[Omnibus Press]

7 Note de l'auteur
7

Nick Banks - So It Started There : From Punk To PulpD’aucuns diront que c’est pousser le bouchon britpop un peu loin que de lire la biographie du batteur de Pulp, groupe important… mineur dont l’intérêt principal est qu’on peut encore en croiser le fantôme (la version promotionnelle) sur les festivals européens de temps à autre (cette année à Amsterdam en mai, Espagne, Portugal, Grèce et USA ensuite). Nick Banks n’était d’ailleurs pas présent à l’époque des premiers disques du groupe de Sheffield (It, Freaks notamment) que d’aucuns continuent de considérer comme les plus puissants et inspirés de Pulp. Il n’a rejoint le groupe qu’en 1986/1987 (ce qui fait pas mal tout de même), soit sept ans avant le succès qui démarrera vraiment avec la sortie de His ‘N’ Hers et culminera avec celle de Different Class, l’année suivante (1995)

On peut évidemment débattre d’un tas de choses, mais certainement pas de l’utilité de suivre un tel parcours, humble, dévoué et profondément honnête. L’histoire de Nick Banks fait partie des belles histoires du rock indépendant, celle d’un jeune homme bien comme il faut (famille modeste, etc), tombé dans la musique à quatorze ans, fan des Sex Pistols et qui préférait taper sur une batterie que de jouer au foot comme son illustre oncle (qu’on croisera à quelques reprises dans le récit).

Nick Banks est né en 1965. Il a la particularité d’être un mec sympa, neveu du gardien historique de l’Angleterre Championne du Monde 1966 Gordon Banks. Il a la même femme depuis une éternité et deux gamins. Il a investi un temps dans le pub de son quartier qu’il a confié à un couple d’amis parce qu’il aimait y boire des coups. Il l’a maintenu à flots pendant dix ans avant de se résoudre à le revendre. Banks a aussi repris l’entreprise de poterie familiale à la mort de son père, avant que celle-ci ne soit touchée coulée par l’épisode Covid. Les dernières nouvelles qu’on a eu de ses projets, au delà de Pulp, sont le lancement d’un taxi-pub du côté de Sheffield dont l’initiative a été relayée par la presse.  C’est évidemment un peu juste pour faire une biographie mais So It Started There (extrait des paroles de Common People) n’en reste pas moins un conte moral de premier ordre.

L’histoire est racontée avec une sobriété exemplaire et de la manière la plus linéaire possible, depuis la naissance des grands-parents jusqu’à celle de Nick Banks, en passant par d’assez longs et archétypaux épisodes sur l’enfance, l’adolescence, la lente découverte de la passion du garçon pour la musique et la batterie en particulier puis, évidemment chez Pulp, la rencontre avec Jarvis Cocker, le groupe puis le long tunnel (d’une petite dizaine d’années) qui mène le garçon de la joie d’avoir intégré « son groupe préféré » à celle de se produire en tête d’affiche à Glastonbury pour un concert mémorable et qui représente sans aucun doute l’acmé du groupe. Banks tombe en effet amoureux assez tôt de la musique de Pulp qu’il croise à de nombreuses reprises dans les bars et cafés concert de Sheffield alors que lui tente sa chance avec d’autres groupes. C’est alors (entre autres), le frère de Candida Doyle qui tient la batterie avant d’en avoir marre et de lâcher l’affaire dans l’un des nombreux remaniements du groupe. Banks entre en scène et ne quittera plus son siège de batteur jusqu’à la mise en sommeil du groupe en 2002. Il y reviendra en 2011 et sur toutes les tournées depuis.

Son style est relativement discret, pas toujours régulier et caractérisé par sa capacité originale à faire varier le tempo au cours d’un même morceau, ce qui vaudra quelques débats intéressants avec les producteurs en studio, les techniciens n’étant pas toujours réceptifs aux emballements rythmiques d’un Pulp qui a tendance, pour suivre le crescendo émotionnel des textes/situations de Jarvis, à accélérer la musique. Le livre suit pas à pas la longue ascension du groupe, les doutes, le rapport difficile à Fire Records (dont les pratiques sont vilipendées de livre en livre par de nombreux groupes) qui choisit de maintenir sous cloche pendant plus de deux ans et qui publiera au moment du succès du groupe une opportunte compilation Fire Records sans en référer au groupe, mais aussi la description passionnante des équilibres internes au groupe. On a droit aux classiques scènes de tournées, aux épisodes avec le van pourri, à deux ou trois cocasseries déjà connues avec Jarvis Cocker et à quelques panégyriques pas du tout forcés de la simplicité et de la gentillesse de la totalité des membres historiques du combo. Banks en dit finalement assez peu sur les rapports interpersonnels entre les membres, se contentant d’esquisser le portrait d’une Candida Doyle un peu « dans son monde », réfugiée la plupart du temps dans sa chambre d’hôtel à regarder des feuilletons à la télé. Banks, en tant que batteur fait partie des fêtards plutôt sages. Il carbure un peu à la coke comme tout le monde durant les années de succès mais est plus porté sur l’alcool, sans que cela semble jamais dépasser le stade de la gueule de bois du matin. Russell Senior navigue complètement à part, avant de quitter le navire en partie parce qu’il considère que le succès a conduit le groupe à trahir son ADN avec Different Class et parce qu’il n’arrive pas à se faire au changement de vie et d’art que cela implique. Banks se garde de bien de dire du mal de quiconque et de révéler les secrets de son leader. Il évoque de manière assez amusante la manière dont Jarvis évolue de son personnage de freaks à lunettes vers une position de sex symbol assumée.

Jarvis et Steve Mackey, avec Banks, semblent former le trio festif du groupe, mais sans que cela se traduise jamais par des excès monumentaux. Banks raconte ainsi comment le groupe (pour se donner une allure rock’n’roll) s’essaie un jour à « saccager » une chambre d’hôtel en retournant tout et en essayant de casser une table en verre… histoire de voir à quoi ça ressemble. C’est ce genre de choses qui font la différence.

Le mouvement le plus intéressant du livre reste bien évidemment la longue marche vers le succès et le point de retournement qui s’opère (sur une période de deux ans tout de même), entre la sortie bien accueillie de My Legendary Girlfriend et le passage chez Island pour His n’Her. Bloqués juridiquement par Fire Records, les Pulp résistent à une période de basses eaux qui aurait pu les faire exploser, se réimplantent partiellement à Londres, et vont finir par percer plus de treize ans après… avoir été distingués par une Peel Session (1981). Le reste appartient à l’histoire et est de nature à modifier les hommes. C’est le véritable sujet du livre que de tenter d’expliquer ce qui se passe quand on a couru après le succès toute sa vie (le cas de Jarvis et celui de Nick Banks, sur le porte bagages) et qu’on y arrive. Que faire alors ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce épanouissant ou décevant ? Alors que Jarvis s’interroge (on reviendra bientôt à travers le 33 1/3 consacré à This is Hardcore) et perd sa boussole, Banks est un modèle de simplicité : sa nouvelle vie lui convient. Elle lui apporte une certaine aisance financière. Il aime tourner, s’acheter des voitures, faire la fête, s’occuper de sa famille entre les tournées. Le parfait batteur ! A ce bonheur simple et presque naïf, s’oppose la sur-célébrité du leader qui est confronté à un problème d’inspiration : qu’est-ce qu’on peut faire quand on a basé 20 ans de sa vie à chanter la revanche sociale et les « common people » et qu’on en fait visiblement plus partie ?

So It Started There aborde la période 1997-2002 sans ambition philosophique mais avec une forme de naïveté réjouissante. Banks a un impact musical bien réel sur les chansons du groupe (on apprend qu’il est à l’origine de la composition de Babies, par exemple) mais ne pèse pas tant que ça dans la prise de décision d’un groupe qui est porté par le feu et le coeur de Cocker. C’est cette position d’engagement mais de modestie qui fait tout le sel du récit, comme si Banks nous représentait un peu et nous embarquait à l’intérieur du groupe « comme si on y était nous-mêmes ». Le succès apparaît au final autant comme le produit de l’acharnement, de la détermination et du courage d’un homme (Jarvis qui s’accroche, s’accroche et emmène tout le monde dans « son rêve ») que comme le retournement fantastique d’une malchance originelle en bonne fortune. Banks écrit un livre qui donne envie de croire en la force des rêves mais aussi en la force du Destin.

En synthèse, un livre « normal » pour un batteur « normal » dans un groupe extraordinaire. On apprend ici quelques petits secrets de studio, quelques informations sympa sur la composition des titres et le travail en studio. Ce qui étonne, c’est l’impression d’extrême harmonie, de sérieux et d’application du groupe à suivre sa destinée. Il y a dans la fluidité de ce mouvement au long cour, la force d’une pièce de théâtre antique et la légèreté d’une sitcom. Pulp est bien le groupe pop par excellence. Nick Banks, son narrateur, le plus légitime.

Le site officiel de Pulp
Le livre chez Omnibus Press

Lire aussi :
Pulp s’y remet : un nouveau titre et Jarvis fonce en studio
Jane Savidge / This is Hardcore
Jarvis Cocker / Good Pop, Bad Pop, an inventory

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