Cela faisait quelques années qu’on n’avait pas écouté un album d’Elysian Fields avec autant d’attention. La faute à l’âge sûrement, à la nostalgie mais peut-être aussi aux sautes d’humeur et de qualité des New-yorkais qu’on avait trouvés dernièrement affadis et, disons-le, en net manque d’inspiration. Pink Air, au titre en trompe l’œil sévère, est sans conteste l’album du réveil, le disque où Jennifer Charles (et son binôme Oren Bloedow) se souviennent qu’ils ont jadis écrit un album électrique et décisif, Bleed Your Cellar, les installant parmi les étalons or des rockeurs indé à voix de fille. Jennifer Charles était alors plus jeune (bah oui) et avec Hope Sandoval, l’une des filles les plus désirables de toute l’histoire du rock pour adolescent.
Plus de vingt ans plus tard, ce sont ces sensations (un picotement dans l’aine et des tremblements du genou) qu’on redécouvre à l’écoute de ce début d’album. Storm Cellar a du punch, du chien et du charme. Star Sheen est encore meilleur. Jennifer Charles cabotine érotique sur un simple accompagnement de guitare tandis que le batteur brosse délicat à l’arrière. Elysian Fields n’a rien oublié de ses séquences jazzy précédentes. C’est dans cette veine là mais avec un dynamisme, une force et une conviction retrouvés que le groupe enchante et retrouve sa pulsation. « Caught between the leaves of a book you cannot read, now the words have blurred the mind disturbed… do I dare to dream of a world we can’t be seen…. », chante Charles sur ce sommet romantique (et littéraire) du disque. Pink Air alterne les moments de décontraction extrême (Beyond The Horizon comme à la parade) et les instants plus musclés, donnant à sa musique pour personnes romantiques vieillissantes un faux rythme FM auquel on se laisse volontiers prendre. Tidal Wave est habile et quasi expérimental dans sa manière de nouer la voix de Charles et la rythmique. La chanteuse d’Elysian Fields reste titre après titre la principale attraction du groupe. Très mise en avant, c’est elle qui dicte sa loi et impose ses variations au groupe. Karen 25 la présente en banshee fantomatique et shoegaze sans grande ambition tandis que Star In Light la laisse crooner comme une apparition d’après-guerre. Les textes sont malins, s’appuyant sans vergogne sur le pouvoir de séduction de la jeune femme. Une fois amoureuse, l’autre malheureuse, Charles est le caprice incarné, séductrice ou chagrin. Il faut bien avouer que cela ne suffit pas à faire un album de 11 titres véritablement passionnant. Pink Air se prend plutôt titre à titre, par petites bouffées qu’on inhale pour se souvenir du bon vieux temps.
Philistine Jackknife est exagérément compliquée pour ce qu’elle a à dire mais témoigne d’une certaine ambition narrative. Elysian Fields ne se contente pas de mettre en place son dispositif pop. Il le triture et l’emmène dans des directions tantôt rock, tantôt dream pop ou carrément hardos sur White Knights of the White Carnation. Il faut avouer qu’on aime bien ces séquences où le groupe (belle formation à six, puissante et qui sait jouer) s’embarque dans des développements de costauds au ralenti. Ca se traîne façon Mississipi, ça allonge les solos exagérément mais on ne dit pas non à ces tentatives de la jouer bitchy typiquement américaine. Pink Air se referme sur le suave Time Capsule, manière de rappeler qu’à près de cinquante ans, Jennifer Charles peut toujours d’un claquement de doigts nous faire nous rouler à ses pieds comme un chien devant son maître. La chanson porte bien son titre et suffit à elle seule à justifier le déplacement. La pop n’a pas d’âge. C’est juste le désir qui faiblit.
Pink Air est comme échappé d’une autre époque, le souvenir d’une caresse, appliquée avec plus de vigueur que les fois précédentes, sur notre poitrine jadis soupirante. Il y a des émotions qui ne s’oublient pas. Et des groupes qui cultivent la manière de les relâcher entre les notes. Elysian Fields n’en a sûrement plus pour longtemps mais s’active avec courage et jusqu’au bout.
02. Star Sheen
03. Beyond The Horizon
04. Tidal Wave
05. Karen 25
06. Star In Light
07. Philistine Jackknife
08. Dispossessed
09. Household Gods
10. Knights of The White Carnation
11. Time Capsule