Flora Hibberd / Swirl
[22Twenty / Redeye]

8.7 Note de l'auteur
8.7

Flora Hibberd - SwirlAnnoncé à l’été 2024 avec les singles Canopy et Auto Icon, l’album de Flora Hibberd débarque enfin dans les bacs. Étrangement, on s’était toujours dit que cette musique serait parfaite pour regarder les feuilles tomber, l’été passer et l’amour remettre une petite laine. Mais Swirl (tourbillon, en anglais) tourne aussi bien les têtes et les oreilles à l’automne qu’à l’hiver. La voix chaude et chaleureuse de la jeune chanteuse anglaise y sonne merveilleusement bien, dans son registre mi-folk, mi-raisin qui berce, tangue et virevolte avec grâce et un nuage de senteurs boisées.

Le disque a été remarqué partout et a un potentiel de rassemblement qu’il ne faut pas négliger. C’est un disque qu’on entend sur France Inter et qui pourrait être utilisé sans souci pour servir de pub à une chaîne telle que Nature et Découvertes, un disque qui sent bon la paix, la modernité et l’espoir contrarié. C’est la folk qui fait ça : ce mélange délicieux de guitare pincé et d’une voix de femme, basse et caressante. Swirl a toutes ces caractéristiques irrésistibles et qui font mouche. Baby est à tomber. Mais si la musique de Flora Hibberd est aussi supérieurement cool, ce n’est pas juste parce qu’elle renvoie à l’élégance décontractée de la folk. Elle est riche et énigmatique, ambigüe et mystérieuse.

I seldom think of you
Except at Crater Lake
I took my shirt off and went wading in
Baby
You were horrified

Keep your shame I don’t want to wear it
It doesn’t feel good
It doesn’t feel right
Up at Crater Lake in the heavy heat

I’m swimming in the sunlight

Les mises en scène de la jeune femme sont curieuses, jamais limpides et toujours un peu désespérées. Le rapport au corps n’est pas simple. Les amours s’échappent et il règne souvent dans sa bouche une sorte de timidité honteuse. On ne sait jamais trop à qui elle s’adresse, si elle parle pour elle ou pour nous. Qui est le protagoniste d’Auto Icon. S’agit-il d’une star oubliée ou d’une solitaire qui se souvient de sa jeunesse ? Y a-t-il une ou deux personnes ? Il est souvent question de natation, de se baigner, ce qui est toujours poétiquement une façon polie de dire qu’on se répand, qu’on se perd, qu’on ne sait pas. Certains titres piochent un peu et sont clairement variétoches (Lucky You, qu’on n’aime moyennement), trop boyscout pour nous, le genre de morceaux qui sont bons pour taper dans les mains ou partager des marshmallows avec Pete Doherty. Mais il y en a d’autres qui ne sont pas bons à mettre entre toutes les oreilles. On peut citer Every Incident Has Left Its Mark, qui est une chanson écrite pendant le confinement, et qui agit sur nous comme un rêve, triste et désolé. La chanson est fantomatique et peint la disparition d’un être à l’intérieur de lui-même, une contraction/implosion retentissante et que la musique accompagne jusqu’à sa dissolution poétique (et musicale) dans ce qui s’apparente chez Hibberd au chaos et au désordre. Ces moments de tension ne sont pas si fréquents. Ils sont même assez rares. La musique de Flora Hibberd est plutôt relâchée et bienveillante. Elle résiste à l’abandon mais semble toujours prête à tomber amoureuse ou en extase.

Still No Closer est lumineuse, même si elle ne fait que différer l’attente (de l’être aimé(e)) jusqu’au bout du bout. On ne saura jamais vraiment ce que dissimule ce “you are full of information” qui nous hante longtemps. La récompense est souvent plus explicite, comme sur le joyeux Ticket qui referme le disque. Cette fois-ci c’est fait : l’affaire est emballée. On donne au narrateur un ticket pour un “show”/concert où il se voit offrir (par surprise) des baisers et des chansons. C’est sans doute le morceau qui donne la clé de l’album. Les morceaux sont comme des fleurs en offrande, des cadeaux déposés pour nous, l’équivalent de sucreries pour l’âme. C’est ainsi qu’on reçoit des merveilles telles que Canopy, un long étirement sensuel et solaire. A la différence de la musique de Tarnation, à qui on peut comparer Hibberd pour son timbre de voix et son style, il ne pèse qu’assez rarement ici de menace. Personne ne meurt. Personne ne tousse. On navigue dans le doute et l’incertitude mais avec l’idée que ce n’est qu’un jeu et que tout finira ou commencera bien. On ne sait pas qui est Jesse, quel est son statut, mais on sait qu’on le rejoindra bientôt. La production nous caresse. La batterie et les percussions sont veloutées. La guitar steel est de sortie. Aucun de ces instruments ne nous fera jamais le moindre mal.

Les amateurs d’agitation et de drames se feront chier comme des rats crevés ici. On savoure l’art pour l’art, le frisson qui ne fait pas peur, l’émotion pour ce qu’elle procure de plaisir. Mais ça n’en reste pas moins un délice et un très beau disque. Ce premier album de Flora Hibberd est moins gnangnan que ses précédents travaux. C’est un disque où l’artiste semble contenir sciemment son optimisme et sa bonhomie, un disque qui sonne sans doute plus profond qu’il ne l’est en réalité, mais un disque dans lequel on vivrait bien le reste de notre vie, en sécurité et dans l’attente qu’on vienne nous sauver des maux du monde. Swirl est un tourbillon-refuge, pas l’un de ces tourbillons pour se noyer mais au contraire, un tourbillon qui permet de mieux respirer. C’est paradoxal mais il faut faire avec. Et les guitares sont splendides. Fern est notre morceau préféré. Le texte est magnifique et on pourrait écouter la pièce en boucle pendant les trente prochaines années sans se lasser jamais.

New is the old haunting
Quit your wanting
Positions that flicker as I go swimming by
Sweet is the condition
And did you ride here?
Just like the dream

Tracklist
01. Auto Icon
02. Remote Becoming Holy
03. Code
04. Every Incident Has Left Its Mark
05. Canopy
06. Baby
07. Jesse
08. Lucky You
9. Fern
10. Still No Closer
11. Ticket
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