Il n’y a plus grand monde aujourd’hui pour prétendre, ni même s’intéresser au fait, que les Hollywood Brats aient été peut-être le premier groupe punk de l’histoire du rock. Le livre biographique du chanteur et fondateur du groupe, Andrew Matheson, sorti en 2016, s’intitule sobrement « Sick on You : the disastrous story of the Hollywood Brats ». Le sous-titre est « the greatest band you’ve never heard of« .
Car si Sick On You, leur chanson étendard, est mal aimée, ce n’est pas parce que c’est une mauvaise chanson, au contraire, ou une chanson qui a nui à la réception d’une oeuvre qui n’a jamais existé. Leur chanson est « mal aimée » car personne ne la connaît et ne l’a jamais écoutée quand il aurait fallu. Les Hollywood Brats étaient promis à une carrière glorieuse. Ils avaient tout pour eux : le look, la musique, l’attitude et surtout l’intuition dès le tout début des années 70 que remettre en cause les fondamentaux du rock, posés dans les années 50, la technicité, les solos, la musicalité, les refrains, en feignant de s’en battre les couilles allait être… la prochaine grande chose qui compte. Les Hollywood Brats, qui contrairement à ce que leur nom laisse à penser, sont un groupe anglais, ont été sans contestation possible le premier groupe punk anglais avant le punk, peut-être le punk tout court si l’on considère que leur formation (en 1971) précède de quelques mois l’arrivée de David Johansen au sein de leurs concurrents et jumeaux américains, les New York Dolls. D’aucuns considèrent que le punk américain est né techniquement le soir de Noël, en décembre 1971, où le line-up originel des Dolls s’est retrouvé sur scène pour la première fois au Endicott Hotel, un centre d’hébergement pour sans abris de New York.
Les Hollywood Brats qui ne s’appelaient pas encore tout à fait comme ça étaient en place déjà depuis quelques temps à l’époque, autour de leur chanteur, alors âgé de 18 ans, du claviériste norvégien Stein Groven alias Casino Steel et du batteur surdoué Lou Sparks. Matheson, originaire du Kent, s’était échappé d’une cellule familiale plutôt traditionnelle après avoir découvert la musique du Velvet Underground et assisté à la naissance du T.Rex de Marc Bolan. S’agrégant à plusieurs groupes, il profitait de sa rencontre avec un norvégien lunaire et aussi excentrique que lui pour prendre le contrôle de son groupe et s’investir pleinement dans la composition de morceaux originaux. Sous l’impulsion de leur duo créatif (Casino Steel/Matheson) le groupe prenait la scène en arborant des tenues très exubérantes et colorées pour l’époque, maquillés comme des femmes et ouvertement androgynes.
Bien inspiré, Matheson convaincait tout son monde d’adopter le nom, jugé excellent par toute la bande, de The Queen. Manque de bol, un dénommé Farrokh Bulsara, chanteur de son état, ayant rejoint le groupe anglais Smile, venait d’avoir peu ou prou la même idée et invitait ses nouveaux compagnons à adopter le nom de Queen (sans le « the ») pour donner son premier concert en juin 1970. Bulsara décidait dans le même temps de changer de nom et de se faire appeler Freddie Mercury. Cette histoire de nom est anecdotique mais marqua l’un des premiers signes de la déveine phénoménale des Hollywood Brats/The Queen qui, malgré le soutien de Keith Moon des Who qui les avait adorés sur scène, fut très vite rattrapé par le succès naissant de Queen. La légende veut que ce soit Freddie Mercury lui-même qui soit venu démarcher Matheson dans le bar où il venait de donner un concert pour lui suggérer de lui laisser l’usage du nom Queen, arguant qu’ils avaient percé sur la scène publique avant lui avec une arrogance telle que le chanteur de THE Queen en prit ombrage. Matheson accepta de bonne grâce de libérer le patronyme dont il s’était lassé mais ne put s’empêcher de défoncer la gueule du chanteur, revendiquant lui avoir mis un uppercut qui l’envoya valser sur le sol.
Rebaptisé The Hollywood Brats, le groupe n’en composait pas moins très vite quelques chansons originales et stupéfiantes qui enflammaient la scène londonienne. Les publics spécialisés regardaient de l’autre côté en se pinçant le nez, tandis qu’un ou deux plus rares s’emballaient et qualifiaient assez vite le groupe d’espoir véritable du genre.
Avec quelques années d’avance sur les Sex Pistols, les Brats se heurtaient un peu partout à l’hostilité d’un public consterné par leur « différence », leur « look » et leur musique agressive. Matheson était pris pour cible. On lui jetait des cannettes, et tout ce qui pouvait se jeter. On lui crachait dessus, tandis que leur musique divisait le public. Quand neuf dixièmes criaient au scandale, un public adolescent révolté et frustré par l’époque se rangeait de leur côté et respirait les premières senteurs de la révolution qui viendrait. Ayant changé de nom peu avant, boudés par le public, les Brats se heurtaient pour l’heure à l’incapacité d’enregistrer leur musique dans de bonnes conditions et surtout à l’absence de maison de disques.
Au même moment (1972) un groupe annoncé comme la relève du rock new-yorkais en la personne des New York Dolls s’apprêtait à débarquer sur le continent, précédé d’une réputation sulfureuse puisque leur batteur, Billy Murcia, profitait de son escale londonienne pour mourir d’une overdose d’amphétamines (le 6 novembre). Comble de la malchance, les New York Dolls plus exotiques et surfant sur leur origine américaine tendance doublaient les Brats en arborant des tenues strictement équivalentes et en proposant un mélange de rock et de glam pourtant bien moins innovant et divergent que les premiers titres composés par le trio, devenu quatuor avec l’addition du guitariste Brady.
Comble du comble, après de multiples errements, une rencontre fuyante avec un Malcolm Mc Laren qui devait la semaine suivante lancer ses Sex Pistols à l’assaut de l’Angleterre, les Brats voyaient se défiler devant eux leur dernière chance d’obtenir un contrat. La maison de disques, NEMS, avec laquelle ils venaient de signer miraculeusement sous l’impulsion de leur manageur Ken Mewis, refusait leur album faute de perspectives commerciales suffisantes. Enfin, victime de ses liens financiers avec les sinistres frères Kray, bandits notoires et ultra violents de la pègre londonienne, la société de Mewis Worldwide Artist Management Limited, c’était son nom, (qui avait pourtant réussi à signer Yes et Black Sabbath) fermait boutique à la chute de leurs encombrants parrains. Née en 1970, elle s’écroulait cinq ans plus tard, laissant les Brats les bandes sous le bras (volées à la source par Matheson en fric-frac) et avec la sensation que les groupes occultes de la Kray connexion étaient infréquentables. La messe était dite.
Ce n’est au final qu’en 1975 que le premier et unique album des Brats voyait le jour chez la filiale… norvégienne…. (et strictement locale) de Mercury Records. Matheson reçut quelques exemplaires du disque rebaptisé Grown Up Wrong par la Poste et n’en entendit plus jamais reparler jusqu’à la réédition chez Cherry Red Records en 1980.
Le premier et plus grand disque de l’histoire du punk rock, chaînon manquant entre ce genre nouveau et le glam triomphant, existait ainsi sans exister, quelque part dans un univers alternatif (et réduit à rien) dans l’Oslo de 1975. Aucun écho, aucune presse, aucune ridule sur l’océan critique, rien de rien qui vienne saluer l’initiative éternellement contrariée et faire exister le groupe disparu dans la mémoire des hommes.
Chanson portée disparue, et chanson inconnue, Sick on You n’en restait pas moins une chanson pionnière, au texte imparable et à l’engagement totalement nouveau.
One look into the mirror you’d
Never dare to criticize I’m sick to death of everything you do And if I’m gonna puke Babe I’m gonna puke on youOn peut relire cela comme on veut. Il s’agissait bien de ça : une chanson d’amour si finie et violente que le protagoniste chanteur menace dans le refrain de dégobiller sur sa nana, une outrance rare pour l’époque (en chansons du moins et en sang frais) qui témoigne de l’audace d’un groupe à défaut d’un raffinement notoire. Sick On You est une tuerie au son de batterie invraisemblable. Le chant de Matheson est remarquable et préfigure évidemment tout ce qui viendra, de Lydon aux Buzzcocks, tout y est et en place : la haine, la sueur, la guitare électrique et l’impression d’assister à une charge de cavalerie où les chevaux foncent tout droit vers l’abîme.
L’album (perdu) des Hollywood Brats est un disque excellent et qui, cinquante ans plus tard, n’a pas pris une ride. On peut écouter Chez Maximes et ressentir sa fraîcheur et sa puissance volcanique sans trop en rajouter. Tumble With Me est sexuel et kinksien dans l’âme. Zurich 17 (Be My Baby) est romantique en diable et une sorte d’hymne power pop définitif que n’aurait pas renié l’amateur de doo-wap Alan Vega. Mais notre préférence va au génialissime Another Schoolday, chanson ultime de rebellion scolaire qui nous domine par sa langueur laidback et l’ennui poisseux qu’elle inspire. C’est ici que se noue le secret de la jeunesse d’aujourd’hui et d’alors, dans ce rejet absolu de la vie ordinaire, des contraintes et de l’emprisonnement dans une salle de classe. Les punks sont des écoliers qui n’en peuvent plus de se faire chier à côté du radiateur, au dernier rang ou le nez collé au tableau. Les Hollywood Brats avec leurs déguisements et leurs éclats électriques sont les premiers à sonner la charge et à foutre le bazar dans tout ça.
Que ce serait-il passé si leur musique l’avait emportée sur celle des Pistols ? Est-ce qu’on serait tous habillés en filles et perchés sur des talons ? Est-ce qu’on aurait préféré le music-hall au foot ? Est-ce que Joy Division et les Smiths auraient existé ? Est-ce que Johnny Rotten ? Il n’y a heureusement pas d’histoire alternative, juste des trappes où disparaissent les anomalies et les mutations engendrées par le futur en gestation. Tant mieux et tant pis.