Par définition, le franc-tireur agit seul, échappe aux règles et aux mouvements organisés, bafoue l’art de la guerre. Il avance caché, jamais à découvert. Gontard! est de ceux-là. Derrière un masque de lapin qui n’a rien d’enfantin, il choisit sa cible, reconnaît le terrain, ajuste le tir et fait mouche avant de disparaître dans un nul part d’où personne ne l’avait vu sortir.
Et si dans ce métier, il n’est de profession de foi à respecter, pour autant Gontard! fait partie de cette caste d’artistes français qui manient le mot avec justesse et sensibilité. Ainsi même si on ne pointera aucune accointance et parenté stylistiques entre Repeupler et leurs œuvres respectives, on reconnaît cette communion d’esprit et la démarche qui animent aussi Matthieu Malon, Zéro Degré, Bertrand Betsch, Mendelson, Encre et consorts.
Allez, oui, perçons aussi l’abcès : un morceau comme Sauvagerie Tropicale sonne comme une « chanson française » mal fagotée et souffre même d’inflexions à la Alain Souchon – diantre, par charité on mettra ça sous le coup de la pochade sarcastique, du chausse-trappe, du trompe l’œil narquois. Le parti pris, en espérant qu’il s’agisse bien d’un accident assumé, ne pouvant supporter l’exercice de l’écoute domestique (quand on ne peut percevoir ni l’air cynique et narquois de l’auteur), on zappe pour s’attacher aux réussites de ce premier album.
En premier lieu, ces chansons portées par le souffle de la satire sociale, ponctuées de pics acerbes mais justes, traversées par le désabusement. La Saison Des Grands Froids déballe ses doutes intimes, ses troubles personnels alors que, La France Des Épiciers ou l’implacable Repeupler 5, débité sur un ton de défi, décrit le mal-être ambiant en laissant à chacun le soin d’opérer les rapprochements. Car on n’est jamais loin du raccourci dangereux, mais le natif de Valence (on ne saurait ignorer son origine géographique à l’écoute du disque) préfère se contenter de pointer la direction – c’est là toute la différence entre lui et les chanteurs qui revendiquent un engagement (non, on ne parle pas de Fauve, qui ne défend rien et ne prétend d’ailleurs pas porter de discours social).
Musicalement, Gontard! ne choisit pas vraiment, et les treize vignettes qui constituent le disque furètent ici et là. Un beau bordel même. Le morceau Vince Taylor commence sur des notes arabisantes, puis part ailleurs avant de s’éteindre avant le refrain. Une façon de se barrer sans finir sa phrase qu’on retrouve sur Repeuplement 3 – à chacun de finir le texte. Sur Mon Frère Est Fils Unique (quel titre !), un saxophone déchire une partition minimaliste. Au contraire, Cratère(s) est un brasier difficilement contenu qui pourrait rappeler certains œuvres de Kat Onoma et lève une partie du voile sur la réalité de ce type qui fuit la lumière. Mais incontestablement, le morceau le plus limpide et aussi celui qui laisse éclater une sensibilité romantique planquée derrière le masque : Inutile d’Affranchir est de ces chansons qui titille le pathos… cela parait trop « facile » mais cette chanson brasse les souvenirs et trompe l’esprit pour s’adresser au cœur. Une petite mélodie douce, une rythmique chaloupée, quelques cordes et un mellotron pour appuyer une non-histoire d’amour au-delà du temps qui passe.
C’est foutraque, indiscutablement bancal, compliqué et en même temps implacable. Bref, ce disque se singularise à l’heure du consensus silencieux et consumériste : Repeupler est donc précieux.
02. La saison des grands froids
03. Inutile d’affranchir
04. Repeupler 5
05. Mon frère est fils unique
06. Repeuplons 1
07. La france des épiciers
08. Cratère(s)
09. Sanglier
10. Sauvagerie tropicale
11. Repeuplement 3
12. Oh moi!
13. Rivoluzionari
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Le titre « Mon Frère Est Fils Unique » est un emprunt à ce très beau film italien je pense : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=127796.html
Ah ok, je ne savais pas – cela trahit ma clture cinéphile minable :o(