Gorillaz / Cracker Island
[Parlophone]

6.6 Note de l'auteur
6.6

Gorillaz - Cracker IslandAvec un tel casting en ligne, on s’attendait à ce que ce nouvel album de Gorillaz soit au moins aussi « show off » et spectaculaire que les précédents. On avait étrillé The Now Now il y a cinq ans et détesté à peu près autant Humanz, sorti l’année d’avant. On ne s’attendait ainsi pas à ce que ce nouveau disque, Cracker Island, soit aussi agréable à écouter et développe, en dépit d’une liste d’invités aussi longue que le bras, une cohérence d’ensemble, une modestie et une sobriété inhabituelles.

On parle évidemment de Gorillaz, un groupe qui sautille et s’agite pour secouer son désir de vivre dans tous les sens, un groupe qui pond des tubes sans s’en rendre compte et qui est là pour s’infiltrer dans toutes les playlists du moment. La notion de sobriété est toute relative. Cracker Island ne fait pas exception avec une pétulance et une vivacité atténuées mais toujours bien là à l’image du morceau d’ouverture, Cracker Island, impeccablement soutenu par la grosse basse d’un Thundercat qui assure également le contre-chant. C’est du bon boulot, efficace et délicieusement funky, un titre millimétré, parfaitement rappé par Albarn et qui ne dévie pas de sa ligne (un peu trop longue). C’est rythmé, c’est emballé, c’est du Gorillaz pur jus, subtilement vulgaire et délibérément populaire et dansant.

La suite renoue avec le caractère planant et apaisé de Plastic Beach, le dernier album excellent du groupe. On doit avouer qu’on n’a pas réussi à saisir aussi clairement que ça le concept (si concept il y a) de Cracker Island. Le contenu narratif du disque n’est pas clair et on n’a pas saisi du tout l’aventure qui nous était proposée. On a eu le sentiment que le disque parlait de la menace que fait peser l’univers virtuel (le métavers) sur la réalité et les musiques traditionnelles, mais Albarn ne semble pas avoir surinvesti dans la continuité, ni voulu s’engluer dans une histoire trop développée ou suivie.

La bonne façon de prendre le disque reste ainsi d’y aller titre à titre et de se laisser surprendre ce qui arrive finalement assez souvent. Cracker Island est un disque distrayant et ramassé qui ne mise pas sur le trop-plein. Ça démarre de manière tranquille et gracieuse avec Oil, notre morceau préféré, qu’illumine le chant de Stevie Nicks, la chanteuse septuagénaire du Fleetwood Mac (qui sonne désormais comme Brian Molko). The Tired Influencer est un titre qui aurait pu figurer sur les derniers disques solo de Albarn. Le portrait de cet influenceur fatigué et lui-même dépassé par la digitalisation du monde est bien troussé et parfaitement exécuté pour suggérer l’effacement progressif et la mélancolie. Le disque prolonge ce « mood » un peu triste et mid-tempo qui l’emporte sur les envolées tubesques des disques précédents sur l’irrésistible Silent Running. Le texte est sibyllin, creusant cette veine d’un effacement à venir qui fait peser une menace quasi spectrale sur les personnages/chanteurs.

It feels like I’ve been silent running (silent running)
Through the infinite pages, I’ve scrolled out
Searching for a new world
Waits on the sunrise
I’m silent running
Run, run, running (oh-ohh-oh), run, run, running

C’est à la fois indéfini et parlant, ultramoderne dans la façon de saisir l’évaporation du corps, du refrain et du monde connu dans un autre chose futuriste, tiraillé entre l’obsolescence et le rêve. Albarn choisit comme ici de ne pas surexploiter ses invités en les plaçant légèrement en retrait. Ce choix est déterminant et permet à la musique de ne pas céder le pas sur le chant. New Gold fait un peu exception mais tire sa magie de l’association inattendue de Tame Impala et Bootie Brown. Le résultat est plutôt élégant, les voix se mêlant à merveille pour aboutir à un titre certes un peu gadget et anecdotique mais qui reste assez harmonieux pour ne pas rebuter.

Il y a dans ces rencontres improbables un caractère attendu qui relève de la pure construction et qui, c’était le cas sur les deux précédents albums, n’exprime rien du tout. Sur Cracker Island, l’impression est meilleure car Damon Albarn tient véritablement la vedette sans en profiter. Il ne surjoue pas plus sur le très bon Baby Queen que sur le très générique et peu intéressant Tarantula. C’est encore lui qui occupe foutrement bien le premier plan sur le Tormenta jusqu’à ce qu’il laisse le lead au portoricain Bad Bunny, pour deux couplets très encadrés. En serrant le champ au maximum, Albarn réussit à ce que les featurings ne débordent pas Gorillaz et n’emportent pas toute émotion sur leur passage. Tormenta  en est un parfait exemple : ce n’est au final pas du tout un bon titre de Bad Bunny, mais un morceau sur lequel la voix de celui-ci est subtilement dérobée pour nourrir la cohérence de Gorillaz.

Albarn gère de la même manière, Beck, qui fait l’appoint de luxe sur le touchant Possession Island. On retrouve cette ambiance de fin du monde croisée sur Plastic Beach et ce sentiment tenace de désenchantement. Les paroles sont apocalyptiquement mainstream, émouvantes mais aussi assez caricaturales, au point d’être relevées par de délicieux mariachi cuivrés sur le final.

Should I ask you? (Should I ask you?)
For forgiveness? (For forgiveness?)
And open my heart?
If I say these words will you listen
Or leave me here in the dark
Where things they don’t exist
And we’re all in this together ’till the end
‘Til the end

Après une première partie en apesanteur, Cracker Island tente de ramener du piquant par une séquence rap qui ne fonctionne pas si bien que ça. Del The Funky qu’on adore ne fait pas grand chose d’un Captain Chicken plutôt médiocre, MC Bin Laden est ridicule sur un Controllah nullissime, tandis que le dernier featuring de feu Trugoy de De La Soul sur le final Crocodillaz ne décolle pas aux hauteurs espérées. Le morceau est chouette, enrichi par l’apport de Dawn Penn, mais n’est suffisamment pas incisif et costaud pour faire une bonne conclusion.

C’est un paradoxe pour un disque de Gorillaz, mais Cracker Island en vient presque à manquer d’engagement et de personnalité, de relief et de couleurs. En prenant soin de ne pas se laisser déborder, Albarn a aussi éteint une partie de ce qui faisait l’attrait de Gorillaz. On se consolera, sur l’édition de Deluxe, en faisant le foufou sur le remix danceclub de New Gold, la pépite cachée de ce disque en demie-teinte, ni-raté, ni-réussi mais très sympathique.

Tracklist
01. Cracker Island (ft. Thundercat)
02. Oil (ft. Stevie Nicks)
03. The Tired Influencer
04. Silent Running (ft. Adeleye Omotayo)
05. New Gold (ft. Tame Impala and Bootie Brown)
06. Baby Queen
07. Tarantula
08. Tormenta (ft. Bad Bunny)
09. Skinny Ape
10. Possession Island (ft. Beck)
11. Captain Chicken (ft. Del Tha Funky Homosapien)
12. Controllah (ft. MC Bin Laden)
13. Crocadillaz (ft. De La Soul and Dawn Penn)
14. Silent Running (2D Piano version)
15. New Gold (Dom Dolla remix)
Ecouter Gorillaz - Cracker Island

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