Grand Veymont / Persistance & Changement
[Objet Disque]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Grand Veymot - Persistance & ChangementSi on vous avait promis il y a quelques temps d’évoquer ici ce nouvel album de Grand Veymont, c’est que le duo est, en trois albums, trois disques dirons-nous, en passe de devenir un incontournable en matière de rock français. Soyons clairs, d’emblée : entrer dans l’univers de Grand Veymont se mérite. C’est exactement comme si, doté d’une condition physique passablement délabrée, vous partiez la bouche en cœur et en basket vous attaquer en mode ballade à un sommet des Alpes, tenez, du Vercors par exemple. Exactement ce qu’est le Grand Veymont, culminant à 2341m au sud du célèbre plateau, entre Isère et Drôme, terre d’origine du duo formé par Béatrice Morel-Journel et Josselin Varengo. Une randonnée, ça se prépare, c’est du sérieux. Attaquer un disque de Grand Veymont aussi et ce Persistance & Changement, leur troisième sorti sur le souvent passionnant label parisien Objet Disques n’échappe pas à cette règle.

Depuis leur premier disque, en 2018 seulement, le duo se plait à dépister son auditoire : petit album ? Gros EP ? Tout cela a-t-il vraiment de l’importance ? Non, et pour gravir encore un peu plus les sommets, Grand Veymont pousse ici l’expérience à son paroxysme en offrant 2 longues plages d’une petite vingtaine de minutes qui s’étirent sur toute la longueur de leur face, sans titre, presque sans pause. Mieux, le fichier numérique est lui d’un seul tenant, longue pièce de près de quarante minutes à peine entrecoupées de l’indispensable petite pause d’origine pour changer de face. Vous l’aurez compris, on est ici loin, très loin d’un format pop ou rock et il convient de faire preuve d’un minimum d’envie et de confiance en soi pour gravir une telle montagne. Mais tout randonneur le sait, il faut parfois s’armer de patience, dépasser la fatigue du début de course et vaincre la monotonie des bois sans fin, passage obligé de la route vers les sommets, sauf à tricher.

Le topo-guide vous le dira : Persistance & Changement est un sentier réputé difficile. D’abord, parce que bien que batteur d’origine, Josselin Varengo comme ailleurs sur plusieurs titres (ou bouts de titres plus précisément) de Grand Veymont laisse sa batterie au placard, ou presque, puisqu’elle n’apparait que de façon fort discrète dans la deuxième partie, en face B. Et comme il n’y a pas de basse à proprement parler, pas plus que de guitare d’ailleurs, on se retrouve face à une œuvre faiblement rythmée au sens conventionnel. C’est donc uniquement sur les claviers que repose toute la linéarité rythmique de la pièce, créant une atmosphère complétement hypnotique et languissante à rapprocher de Stereolab (celui d’Anamorphose sur Mars Audiac Quintet notamment) mais aussi des titres les plus expérimentaux de Broadcast, proximité que renforce l’usage de flutes et autres instruments analogiques mais surtout la voix de Béatrice Morel-Journel qui, dans le même registre que la regrettée Trish Keenan, enveloppe l’auditeur et l’emporte avec elle vers les cimes dans un tourbillon d’effets surnaturels.

Grand Veymont est un guide, un conteur. A travers cette randonnée, c’est toute une histoire qui se raconte et pas à pas, l’auditeur s’y perd et ne ressent plus l’effort. S’il est bien question de monotonie, comme lors d’une marche, lente, les paysages muent de façon subtile, par petites touches ; Ici un bosquet d’une essence peu commune, des fraises des bois, plus haut des myrtilles, là un troupeau en train de paitre et puis au détour d’un virage, un replat, le paysage change. La seconde partie se fait plus heurtée : le temps tourne, les nuages envahissent les pentes et il faut hâter le pas. Les claviers se font plus tranchants, quelques beats viennent structurer la promenade, la tension monte avec le brouillard et nos guides, chantant à présent d’une seule voix (l’une à droite, l’autre à gauche), nous font part de leurs craintes, « le regard, mon œil égaré, il va bien falloir continuer ». Et soudain, enfin, émergeant des nuages, le sommet du Grand Veymont, au loin. Alors, entre Persistance et Changement, s’offre à nous un panorama exceptionnel avec au nord toute la crête orientale du Vercors et au sud, le sublime Mont Aiguille. On y est. Déjà. D’un coup, c’est comme si la montée s’était faite sans effort, comme si le temps s’était suspendu. Alors on reprend son souffle, on ralentit patiemment le rythme des battements et se laisse envahir par une belle plénitude. « On ne peut pas changer mais on peut s’apprivoiser » chante alors Béatrice Morel-Journel.

Gravir une montagne ou un disque sont finalement deux choses très proches, parfois complexes et exigeantes : une longue pièce de 40 minutes est une véritable incongruité à l’époque du saucissonnage et des playlists streamées. Mais une fois en haut, s’empare de l’auditeur-randonneur une immense bouffée d’exaltation qui n’appelle qu’une seule réponse : y retourner, encore et encore. Randonner en plaine, gravir des collines, s’émerveiller de paysages familiers, bien sûr ; mais de temps en temps, partir pour une vraie aventure que rien ne fera regretter.

Tracklist
01. Persistance & Changement Face A
02. Persistance & Changement Face B
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