Cela faisait assez longtemps qu’on ne s’était pas arrêtés avec stupeur et admiration devant un disque de musique ambient. Pour son deuxième album, la guitariste new-yorkaise Rachika Nayar nous offre un étonnant voyage dans un territoire fait de sons organiques (des guitares, des samples) et électroniques (du synthé, des beats) où tout s’entrechoque et se mélange avec un fracas presque doux et caressant. Son présent LP s’intéressait au toucher, à ce qui le compose et ce à quoi il s’expose. Le propos de Heaven Come Crashing est moins ciblé, moins précis, mais semble (guidé par son titre) décrire ce moment du temps où les portes du ciel s’ouvrent et commencent à inonder l’univers de légions ailées, de lumières, offrant au monde une forme de distraction gigantesque où l’émerveillement côtoie le sentiment d’une menace (vengeance?) à venir.
On essaie toujours de poser des mots sur ce qui n’en demande pas mais la musique de Rachika Nayar s’y prête autant qu’elle s’en dispense. On peut l’accueillir comme une abstraction pure, une redoutable proposition mathématique faite d’avancées et d’arrêts brusques, de boucles et de plages cafardeuses, ou, au contraire, tenter d’imaginer un programme de fiction autour des titres et des indications que la compositrice nous donne. Our Wretched Fantasy, bien sûr, introduit le monde du rêve, avant qu’on ne nous embarque dans un Tetramorph long de près de 10 minutes et qui nous balade comme si on entreprenait un long trajet en voiture, le sommeil menaçant de nous engloutir sur chaque kilomètre parcouru. La musique de Rachika Nayar a une fonction narcotique : elle illumine parce qu’elle envoûte, elle éclaire parce qu’elle obscurcit l’esprit et fait tourner la tête. La beauté du final de Tetramorph ne peut se révéler que parce qu’elle est précédée de trois minutes d’un son Reichien et répétitif.
Le temps s’étire, s’expose dans des mouvements amples et comme contrariés par la matérialité des spectres qui l’empêchent de progresser. Sur Death & Limerence, on entend le vent produire des fantômes. Il arrive (Nausea) que Nayar évolue de façon plus traditionnelle, esquissant un beat, un pas de danse comme si le disque pouvait se changer en simple divertissement, et puis l’ambiance retombe pour suggérer encore une émotion, un brouillard, un éveil. Les plus belles plages (Gayatri) ne disent absolument rien. Elles enveloppent. Elles enrobent, créant autour de nous une capsule protectrice et isolante. Le single Heaven Come Crashing est magnifique. Dire qu’il rappelle certaines pièces d’Aphex Twin est une évidence, mais ce n’est pas le registre préférentielle de la new-yorkaise.
Le disque est peut-être juste un rêve, causé par une nuit sans sommeil (Sleepless). La reprise transformée de la première chanson (The Wretched Fantasy devient The Wretched Fate au final) donne du crédit à cette interprétation. Le soleil se lève et ouvre un jour nouveau. Il faut aller chercher en bonus sur le disque 2, la beauté sidérante de Hollywood Is Real, la plus belle pièce de l’ensemble. C’est le piano/clavier qui domine et que les guitares vont cerner (à moins que ce ne soit des synthés), comme elles le feraient chez Mogwai, dans un mouvement ample et qui n’ira pas au bout. Il y a ici un mélange de légèreté et de gravité qui étreint et émeut comme un jour sans lune ou une vie banale. La musique procure un sentiment de bien-être qui n’est pas tout à fait débarrassé de danger ou de l’idée que tout ceci s’envolera bientôt.
C’est toujours un peu bizarre de faire causer autant une musique qui ne parle pas, mais il y a dans ce Heaven Come Crashing des questions et des réponses qui se pressent et qu’on aimerait tellement recueillir.