En concert (gratuit) à Paris pour la première fois depuis 30 ans, le chanteur et musicien anglais Jowe Head a eu la chance et l’opportunité de jouer un rôle décisif dans deux groupes légendaires de l’histoire du rock indépendant. A côté d’Epic Soundtracks et Nikki Sudden, il a fait de Swell Maps l’un des groupes les plus passionnants de la fin des années 70. Les albums A Trip To Marineville et In Jane from Occupied Europe ont influencé de nombreux groupes américains et Nirvana en tête. En 1984, il s’est associé à Daniel Treacy au sein des Television Personalities pour une décennie de pop, de rock psychédélique et d’aventures en tout genre.
Avec quelques albums solo de qualité et un parcours étonnant, Jowe Head a dépassé la soixantaine et entame une année fringante, dédiée au souvenir, au punk et à l’expérimentation. Rencontre…
Quand avez-vous joué à Paris pour la dernière fois ?
C’était avec les Television Personalties, probablement en 1990. Nous sommes arrivés en France depuis l’Allemagne et je me souviens qu’on avait entendu dire qu’il y avait des émeutes à Montmartre, là-même où nous devions jouer. C’était plutôt excitant mais malheureusement, tout était déjà terminé quand nous sommes arrivés. C’était plutôt un soulagement en vérité et le concert a été bon dans mon souvenir.
Que retenez-vous de meilleur et de pire de vos dix ans passés avec Daniel Treacy au sein des Television Personalities ?
Mon meilleur souvenir c’est qu’on se marrait énormément avec Daniel et aussi le sentiment de fierté et d’accomplissement que j’éprouve encore lorsqu’on regarde les disques que le groupe a laissés derrière lui à cette époque. Mon pire souvenir, je dirais la manière plutôt inconfortable dont on voyageait avec le groupe et puis aussi tous ces problèmes qu’on a pu avoir en tournée mais ce n’est pas forcément la peine de remuer tout cela maintenant.
Vous jouez le jeudi 16 janvier au Motel dans le cadre de la sortie de la première biographie consacrée à Daniel Treacy et à ses Television Personalities. Qu’est-ce qui a fait des Television Personalities un groupe si particulier ?
Ce qui nous rendait spécial devant tous les autres, c’est sans doute la vision qu’avait Dan Treacy de la culture de la jeunesse anglaise des années 60 et 70. Une vision unique couplée à une façon tout à fait personnelle de la mettre en musique et de composer des chansons autour de ça. La manière dont il écrivait avait de multiples facettes : il pouvait être satirique, mélancolique, drôle, politiquement engagé, hédoniste, en colère. Il utilisait aussi beaucoup, dans ses textes, toute une imagerie et des références empruntées au monde du cinéma. C’était un peu sa signature.
Un de vos concerts en France a donné lieu à un CD live, Camping In France. C’était à Tours, le 12 décembre 1985. Vous vous souvenez de ce concert précis ?
Je me souviens que nous étions arrivés à Tours après un voyage plutôt horrible. Nous sommes arrivés très tard à la salle de concert. Et si je me souviens, il s’agissait d’un concert unique, je ne sais plus trop pourquoi. On ne jouait que cette date. On a dû monter sur scène quasi immédiatement, en arrivant, sans même se poser quelques minutes et encore moins après avoir fait un soundcheck. On était complètement crevés et on a joué un set furieux, assez agressif, avec, tout de même, une ou deux chansons un peu plus apaisantes, comme Girl on Motorcycle.
De quoi êtes-vous le plus fier sur ces dix années avec Treacy ?
Le plus important et le plus réussi sur les dix ans (1984-1994) que j’ai passés dans ce groupe, ce sont deux albums assez remarquables (dont un double album, Closer To God) et des singles si nombreux que je n’essaierais même pas de les dénombrer. Le songwriting de Dan était, à mon sens, à son zénith durant cette période et il était très prolifique. De nombreuses chansons intéressantes n’ont même pas été captées en studio parce qu’il y avait tellement de matériel parmi lequel on devait choisir. C’est pour cette raison que j’en ai capturé certaines dans mon appartement à Londres et que je les ai sorties bien plus tard sur ce qui devait être l’album Beautiful Despair. Je souhaitais laisser un témoignage de tout ça. Je regrette un peu que nous n’ayons pas pu faire plus de films et de vidéos. On aurait pu mieux se servir de tout ça, même si on a tourné quelques clips intéressants pour Salvador Dali’s Garden Party, Strangely Beautiful, ou encore How I Learned to Love The Bomb.
Vous êtes passé de Swell Maps aux Television Personalities et avez vécu avec ces deux groupes deux aventures incroyables et qui ont laissé des traces “historiques” dans l’histoire du rock.
Swell Maps et Television Personalities étaient deux groupes qui ont démarré à peu près en même temps en 1978. C’est à peu près là que nous avons sorti nos premiers singles sur des labels “indépendants”, ou disons le par nos propres moyens. C’était une idée originale à ce moment là. On a inspiré pas mal de monde et donné envie à de nombreux groupes de monter leur propre label. On les autorisés à se lancer. Swell Maps et Television Personalities étaient un peu comme des frères d’armes, on partageait le même état d’esprit même si la musique qu’on faisait n’avait aucun rapport. On avait les mêmes idéaux et on abordait les choses autour de notre carrière musicale de la même façon. Le punk a été un moment décisif pour nous, une sorte de rite de passage vers quelques chose de plus ambitieux, créativement parlant. Swell Maps était sûrement un groupe plus aventureux en matière d’expérimentation sonique. Mais les Television Personalities s’y sont mis aussi dans les disques qui sont venus plus tard, et il est possible que ce soit moi qui ait contribué à faire passer cette envie d’innover et de jouer avec les sons d’un groupe à l’autre.
Est-ce que le Jowe Head d’aujourd’hui est le même que le Jowe Head qui jouait avec Nikki Sudden ou que le Jowe Head des années 80 ?
J’ai le sentiment d’être resté fidèle aux valeurs que j’ai toujours eues et défendues. Je ne fais toujours aucune confiance aux gros labels et aux grandes entreprises et préfère toujours travailler avec des personnes qui ne font pas partie de ce milieu. J’ai toujours trouvé bénéfice à travailler dans la marge, plutôt que de tenter d’investir le mainstream et de cotoyer le show business. Sur le plan esthétique, je privilégie toujours les approches artisanales ou Do It Yourself et je me considère comme un explorateur, quelqu’un qui aime les expériences. Alors, j’aime bien collaborer avec des gens qui sont un peu excentriques, qui ont appris tout seul, plutôt que d’aller chercher des virtuoses qui ont tout appris à l’école de musique. Avec le temps, j’ai évolué musicalement. J’ai découvert la vertu du silence, des espaces entre les notes et les charmes d’une plus grande subtilité, plutôt que de jouer fort et comme un sauvage tout le temps comme quand j’étais jeune !
J’ai entendu dire que vous prépariez quelque chose autour de la musique de Swell Maps. Est-ce vrai ?
J’organise deux concerts autour de la musique de Swell Maps, avec des chanteurs invités. Au lieu de refaire un concert du groupe tel qu’il l’était en 1979, j’ai eu l’idée de le programmer de sorte que nous allons pouvoir intégrer tous les éléments enregistrés que l’on n’avait pas pu avoir sur scène quand nous jouions à cette époque. Je pense aux plages de piano que Epic Soundtracks interprète sur les disques, mais aussi à quelques autres idées qui relèvent plus de la musique d’avant garde et d’une démarche d’expérimentation. En concert, Swell Maps était principalement un groupe de guitares et ne renvoyait pas toute la diversité de la musique qu’on enregistrait. Ces deux dates auront lieu au Café Oto à Dalston (Londres), les 19 et 20 juin 2020.
Les musiciens et chanteurs avec lesquels vous avez travaillé ont connu, pour un certain nombre, une destinée assez tragique. Epic et Nikki sont morts, et Daniel Treacy vit dans un état de grande dépendance depuis de nombreuses années suite à un accident. Qu’est-ce qui fait que vous avez été épargné ?
Oui, c’est une tragégie, ce qui est arrive à Epic, à Nikki et maintenant ce qui arrive à Daniel. Je suis en bonne santé maintenant et par chance, même si cela n’a pas toujours été le cas. Je n’ai peut-être pas fait autant d’excès que Keith Richards mais ça a été plutôt sauvage quand même. J’ai cédé à peu près à toutes les tentations que peut offrir une vie de bohême sur la route ! J’ai été blessé. J’ai été malade. Mais j’ai réussi à me remettre en selle et à traverser tout cela.
On a parlé de votre rôle dans les groupes mais vous avez aussi une oeuvre solo qu’il ne faut pas oublier. Parlez nous de ce que vous faites en ce moment et notamment de votre dernier album.
Mes disques solo sont à chaque fois une sorte de résumé de ce que j’étais durant quelques années. Chaque disque représente une étape de mon développement musical. Dans le cas du dernier album, Widdershins, cela couvre d’une certaine façon l’intérêt que j’ai en ce moment pour la musique folk anglaise. Il y a aussi pas mal de références à l’occultisme, à la science-fiction, à Joseph Cornell l’un des mes artistes visuels favoris et à l’industrie du cinéma hollywoodien.
Quels sont vos morceaux préférés des Television Personalities ? Ceux que vous allez jouer jeudi ?
Jeudi, on ne va pas forcément jouer toutes mes chansons préférées des Television Personalities mais quelques unes quand même. A picture of Dorian Gray, Silly Girl, You’re Just Being Ridiculous, Three Wishes et Salvador Dali’s Garden Party.
Daniel Treacy en 3 mots ?
En trois mots ? « C’est. Pas. Possible!”
Jowe Head: The man from all times
In Paris on Thursday for a Television Personalities homage gig for the first time after 30 years, artist Jowe Head is somekind of an underground legend. In the late 70s, he played for Swell Maps, one of most influential (and experimental) pre/post-punks act besides Epic Soundtracks and Nikki Sudden. The LPs they have left behind have acquired through the years a legendary status and proved decisive for the whole American indie scene.
In 1984, he signed for a decade-long partnership with songwriting genius Daniel Treacy in the Television Personalities. They lived the life on the road and composed a few masterpieces, people seems glad to cherish and rediscover for a few years.
Jowe Head is like Iain Sinclair’s Norton, the Prisoner of London, eternally trapped in London’s musical history, navigating for the good and the best, through all times and eras.
When was your last visit in Paris? Can you tell us about it ?
Personalities in about 1990. We travelled from Germany, and I remember hearing that there were riots happening in Montmartre, where we were booked to play. This was exciting news, but sadly it was all over by the time we arrived! It was a relief actually; quite a good concert, I recall.
More generally, what is your best/worst souvenirs from France when touring with your different bands?
My best souvenir from the TVPs was memories of all the fun we had together, and the sense of achievement and pride that I felt when we made some great recordings. My worst souvenir from the TVPs was all the uncomfortable aspects of travelling and some of the problems on tour, but it is not worthwhile to let one’s thoughts linger on such regrets.
You are playing Paris on the 16th of January (Le Motel Bar) in a special event celebrating the first full biography of Daniel Treacy from The Television Personalities. What was so special with this band ?
One of the special things about TVPs was Dan Treacy’s unique vision of 1960s and 1970s youth culture in England, and his composing style in expressing this. His song-writing had many facets: satirical, melancholy, humorous, political, hedonistic, angry. He also used a lot of lyrical imagery from the world of the cinema, which was a kind of trademark.
There is a unique recording from a French gig you’ve played with Treacy and J. Bloom in Tours in 1985. It was 35 years ago in December. The CD is called Camping in France. Do you remember that far ?
I remember arriving in Tours after a terrible journey through France, arriving very late at the concert hall. If I remember correctly, we went to France for only one concert that time, for some reason. We had to go straight onto the stage with no sound-check or rest. We were exhausted, but played a fairly aggressive set I remember, but we played one or two gentler songs, like Girl on Motorcycle.
You were in the band for something like a whole decade, from 1984 to 1994. What is according to you the most important achievement of the band through this period?
The most important achievement of the TVPs in the decade 1984-94 was to release two fine albums (one a double LP), and so many singles that it is difficult to count them. Dan’s song-writing was at it’s best around that time, and he was very prolific. Many interesting songs were not recorded in a studio, because there were so many to chose from, so I recorded some of them at my flat in London, to be released later on an album project called “Beautiful Despair”. It was good to document as much as possible. It is a shame that we didn’t use the medium of film as much as we could have, but we made a few interesting videos for “Salvador Dali’s Garden Party” and “Strangely Beautiful”, and “Love the Bomb”.
Earlier in your career, you’ve been involved with Swell Maps, which is today one of the most revered and respected pre-punk, “post-whatever”, experimental band from the alternative world. Do you consider lucky to have been part of 2 very different but very influential and artistically successful adventures as those two ?
Swell Maps were contemporary with TVPs at the beginning in 1978, when both bands released their first singles on their own “DIY” labels, which seemed to be an original idea at that time; many younger bands were inspired by us to set up their own labels as a result. Swell Maps and TVPs were kind of kindred spirits. The music didn’t really sound very similar, but we had the same ideals, and went about things in a similar way. Punk was a stepping-stone for us, like a rite of passage, to something more ambitious, creatively speaking. Swell Maps was evidently a more adventurous band in terms of experimental sounds, but I think TVPs picked up on that in the later records, so I suppose that I brought some of that with me.
As a musician and artist, what main difference would you make between Jowe from Swell Maps, Jowe solo (in the early 80s), Jowe in the Tvps and today’s Jowe ? Same man, same ethics ? Or have things changed through the years ?
I feel that I have kept the same values that I always had. I still distrust major corporations, and prefer to work with people outside of that world, so I accept the benefits of working in the margins, rather than in the main-streams of “show business”. Aesthetically, I still like a primitive “DIY” approach, and consider myself to be adventurous and experimental, so I enjoy collaborating with self-taught eccentric people, rather than virtuosos who sent to music school. However, musically, I now accept the value of more space, and more subtlety, rather than being loud and wild most of the time, as I was in my youth!
I’ve been told you were ready and willing to play some special Swell Maps resurrection events? Is there any chance we hear about it in 2020?
Having said that, I am organising two performances of Swell Maps music, with some guest performers. Instead of re-creating a Maps concert from 1979, I shall be programming it so that we can include many of the elements that were never explored when we performed live, for example the piano pieces that Epic Soundtracks played on the recordings, and using some of the more avant-garde ideas and sounds. In concert Swell Maps usually concentrated on playing guitars, so it was lacking diversity in content. This is booked at Cafe Oto in Dalston, on June 19th and 20th.
You are a few years over 60 now. There was a lot of tragedy among your former band members. Nikki Sudden. Epic Soundtracks. Daniel Treacy. Others I presume. What has allowed you to go through the years fit and able ? Is that the Keith Richards gene you got or something in your personal behavior which did protect you ?
Yes it is tragic, was happened to Epic and Nikki and Daniel. I am in good health now, thankfully, but it has not always been so. I might have not lived an such an excessive life as Keith Richards, perhaps, but I have led a rather wild existence at times, with all the various hedonistic temptations that a bohemian life on the road can offer! I have had injuries and health problems, but managed to recover from them.
You’ll play on the 16th some recent and new songs from your last LP Widdershins. Can you tell us about your 2020 solo and band projects ?
My solo records are each a kind of summary of a few years, and represent stages in my musical development. In the case of Widdershins, to a great extent this covers a recent interest in ancient British folk music, and there are also references to the occult, to science-fiction, to one of my favourite visual artists (Joseph Cornell) and to the Hollywood film industry.
Let’s end with a TVPs bonus question. Can you list me your 5 favorite TVPs songs you will play on Thursday ?
On Thursday, We are not necessarily playing all my favourite TVPs songs, but I shall play some of them: “A Picture of Dorian Gray”, “Silly Girl”, “You’re Just Being Ridiculous”, “Three Wishes” and “Salvador Dali’s Garden Party”.
Daniel Treacy in 3 words ?
Dan Treacy in three words: “That’s. Not. Possible!”